Moi, je ne regrette que deux choses : de ne pas avoir connu plus tôt l'Ecole Universelle, et d'être entortillé dans des ronces artificielles. Si j'avais la liberté de mouvement, vous voudriez voir ce travail d'équipe ! Ce serait dare-dare l'embrocation Moldave, façon pivert survolté ; le Magic-City avec entrée libre ; Pearl à rebours ! Mais soudain je déchante. Cette fille de Garches vient de me mordre la lèvre inférieure, jusqu'au sang. La douleur me ramène sur terre sans escale. J'ai la fusée Mercury qui décélère ; mes fils ! Si mon parachute à condensation émollente fiscale ne s'ouvre pas, je vais me fracasser la capsule !
— Espèce de petite panthère ! fais-je en promenant ma menteuse Caressante sur la lèvre endommagée.
Eva part d'un rire hystéro. Je serais sa maman, je prendrais un rancart pour elle chez un neurologue patenté, et je ferais fissa car, sans vouloir formuler un diagnostic définitif à son sujet, il se pourrait que sa courroie de transmission patine un peu.
— Et maintenant, on va vous donner un peu de compagnie ! fait-elle.
Elle retourne à la lourde. Je ne puis m'empêcher d'admirer sa démarche ondulante, sa silhouette souple et provocante, la chute de reins de cette souris vaut celle du Zambèze, je vous le dis. Des frangines commak tarnbè… zerais, des treize à la douzaine, ze vous le zure !
Elle fait claquer ses doigts et deux gars bruns s'annoncent en coltinant un troisième gars qu'ils jettent sans ménagement sur le plancher. L'arrivant porte des pansements rouges de sang autour de la tête, aux mains et aux pinceaux.
Le mot pansement est excessif. Il s'agit en fait de vieilles serviettes grossièrement nouées afin de stopper des hémorragies. La figure de l'arrivant est marbrée de bleus. Il gît sur le plancher, immobile. Son souffle est saccadé ; de brèves convulsions parcourent son corps.
J'ai idée qu'il s'est payé une séance à grand spectacle, avec nerf de boeuf, moulin à viande, fouet à neuf queues et gros sel.
— Faites bon ménage ! plaisante cette garce d'Eva en s'en allant.
— Qu'est-ce que c'est que ce julot ? demande Bérurier.
—
— J'ai l'impression que ç'a été sa fête, murmure Belloise. Ce qu'ils ont eu à lui dire ils- le lui ont pas dit avec des fleurs !
Je regarde fixement l'arrivant. Il me semble que je l'ai vu quelque part. Et puis, soudain, comme il remue et me dévoile sa pauvre figure, je pige : c'est Lormont !
Vous avez bien lu ! Lormont en chair (à pâté) et en os (fêlés). Du coup, je ne pige plus. Ce qui m'échappe, c'est moins les raisons de sa présence ici que les raisons de la mienne. Puisque ces bandits ont Lormont, qu'attendent-ils de moi, de nous ?
Vous avez une idée, vous qui en manquez tellement ? Non, bien sûr ! Le jour où vous aurez pour trois balles d'esprit de déduction, il faudra pavoiser. Seulement c'est pas demain la veille, hein, les zenfants ? Vous autres, dès qu'une pensée vous traverse le cerveau, vous affichez complet. Et encore faut voir quelle pensée ! De l'article en solde,
Votre tronche ressemble à la poche d'un aspirateur après usage. C'est bourré de « Je vous ai compris », de « Je t'aime chéri », de « Jeanmineureries », de « journalparleries », de T.V., d'U.M.D.P., d'U.N.R., de P.M.U., de P.G., de C.C.P., de S.R., de O.K., de K.O., de S.O.S. et surtout, oui, surtout : de C.O.N. (avec un S au pluriel).
Je ne pige pas ce qu'on me veut. Jusqu'alors on m'a demandé Lormont. Or, ils ont Lormont.
Un silence long comme une lance de jouteur s'établit. François Lormont se dresse sur un coude, tant bien que mal car il a les poignets et les chevilles attachés.
— Alors, monsieur Lormont, fais-je ; vous êtes donc des nôtres à cette
— Comment ! C'est lui Lormont ! bée Béru. Depuis le temps qu'on nous cause de lui ! On va peut-être nous ficher la paix maintenant.
— Que vous est-il arrivé ? je questionne.
L'industriel émet une faible plainte, ce qui est navrant de la part d'un homme qui a émis tant de chèques provisionnés.
— Ils m'ont assommé dans votre chambre de Courchevel. Ils s'étaient fait passer pour des inspecteurs.
— Et ensuite ?