— Le voyage a été long. On m'a amené ici et torturé. Les misérables ! Vous ne pouvez pas savoir les sévices qu'ils m'ont infligés ! Mon corps n'est plus qu'une plaie !
— Pourquoi ces mauvais traitements ? demandé-je.
Il ne répond pas.
— Pour vous faire cracher du fric ?
— Non, pas exactement.
— Alors ?
Re-silence. Lormont est au bord de l'évanouissement.
— Vous n'avez pas confiance en moi ? insisté-je.
Il paraît hésiter. Il est vrai qu'après un tel coup foireux il est en droit de mettre mon génie policier en doute. Mais quoi ! je peux me tromper, je ne suis pas Jean XXIII. Dans toutes les carrières on trouve des échecs.
— Au point où j'en suis, murmure-t-il, ça n'a plus guère d'importance.
Il respire doucement et j'en déduis qu'il doit avoir pas mal de côtes cassées.
— Vous savez que mes usines ont un laboratoire de recherches nucléaires ?
Tiens, pourquoi le Vieux ne m'en a-t-il pas parlé ?
— Un groupe d'ingénieurs de l'Etat travaillaient chez moi sous la direction du professeur Von Klafouti à la création d'une arme thermostatique-mixte à virevolteur cadastral électronique dont la force destructrice est terrible !
— Et c'est à cette arme qu'en ont tous ces foies blancs ?
— Naturellement.
— C'est à cause des plans qu'ils vous ont torturé ?
— Oui. Ils ont été tirés en deux exemplaires. L'un est au ministère de la Guerre, l'autre en possession de mon groupe.
Il est prostré soudain. Pour qui connaît l'âme humaine (et je suis de ceux-là), son attitude donne à réfléchir.
— Monsieur Lormont, appelé-je, vous avez parlé, n'est-ce pas ?
— Hélas !
— Si bien qu'ils vont pouvoir se procurer les plans ?
— Ils les ont !
La colère béruréenne vient faire diversion.
— Espèce de vieille guenille ! Visez-moi un peu c't' tronche d'avachi ! Dire qu'on fout des secrets d'Etat dans les mains de cervelles comme ça !
— J'aurais voulu vous y voir ! proteste misérablement François Lormont.
— Moi z'aussi, mon pote, j'eusse voulu que vous m'y vissiez ! riposte la Globule. Question courage, vous pourriez prendre des cours du soir z'avec moi ! Ah ! ces grossiums, ronchonne le démocratique Béru, une fourmi qu'éternue et ils grimpent sur la. table en appelant leur vioque ! Pas besoin de leur z'y faire prendre de la Quintonine pour qu'ils se mettent à table !
— Ecrase, Gros ! intimé-je. Ainsi ; monsieur Lormont, l'invention est entre leurs mains sales ?
— Je suis déshonoré à tout jamais ! S'ils me relâchent un jour je me logerai une balle dans la tête !
— Avec une cuillère à café, je vois ça d'ici ! ricane le Formidable. Môssieur a bien le genre à se faire le rat-qui-rit avec un couteau à lame de caoutchouc mousse !
Je vais pour questionner Lormont, mais des pas dans le couloir, m'incitent au silence. Le pauvre bonhomme pleure de souffrance et de honte sous les yeux injectés de réprobation de Bérurier le Valeureux.
Belloise, lui, s'en tamponne le coquillard avec une patte d'astrakan.
La porte s'ouvre sur une escouade. Il y a là Eva, l'homme en blanc et trois autres mercenaires armés de revolvers et de tenailles.
— Délivrez-le ! ordonne Eva en me montrant.
Les mercenaires se mettent à trancher le barbelé qui m'encoconne. C'est vite réglé.
— Emmenez-le au salon ! fait l'homme en blanc.
Le Gros se fout à beugler.
— Et nous alors ? On commence à attraper de la pénicilline sous les radis à force de se tenir debout dans votre combinaison de protection pour pucelle.
— Soyez sage ! lui gazouille Eva.
— Faites-nous au moins apporter à becqueter ; votre bol de riz, c'était comme qui dirait pour ainsi dire un grain de millet dans la gueule d'un âne !
— Je ne vous le fais pas dire ! plaisante Eva.
Et elle referme la porte sur les protestations de ce pauvre Gravos, lequel doit rêver tout éveillé à des homards Thermidor et à des poulardes demi-deuil.
La cohorte m'emmène dans une vaste pièce agréable, au plafond de laquelle un immense ventilateur zonzonne en remuant l'air de ses pales. Les zigs qui me coltinent me jettent sur le tapis, sans égard pour ma personnalité.
— Dites donc, les gars, je proteste, vous n'avez donc pas lu l'étiquette ? Je suis marqué « Fragile ». Ma chère Eva, poursuis-je, si un jour je monte une entreprise de déménagements, je n'embaucherai certes pas vos zigotos, ils couleraient ma boîte !
— Fermez votre damné bec, dit rudement le type en blanc, et ouvrez plutôt vos oreilles !
— Avant d'ouvrir quoi que ce soit, commencez par me détacher. Je suis tellement ankylosé qu'à côté de moi, la statue d'Abraham Lincoln a l'air de remporter le décathlon des Jeux olympiques !
— Détachez-le, Stevens, conseille la jolie amazone.
— Merci, chérie, je susurre, je savais bien que votre petit cœur était plus tendre que de la laitue d'avril.
Un coup de savate en pleine poire me fait taire. Il n'est pas facile à vivre, le pays. J'enrage
— Il restera attaché ! décrète Stevens. Ce damné flic n'est fréquentable que lorsqu'il est déguisé — en momie !
— Vous me flattez beaucoup, assuré-je, très Régence.