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Ma montre ! Voilà deux mots agréables à prononcer. J’avais eu si grande envie d’avoir une montre, et je m’étais toujours si bien convaincu moi-même que je n’en pourrais jamais avoir une ! Et cependant voilà que dans ma poche il y en avait une qui faisait tic-tac. Elle ne marchait pas très-bien, disait le père. Cela n’avait pas d’importance. Elle marchait, cela suffisait. Elle avait besoin d’un bon coup de pouce. Je lui en donnerais et de vigoureux encore, sans les lui épargner, et si les coups de pouce ne suffisaient pas, je la démonterais moi-même. Voilà qui serait intéressant : je verrais ce qu’il y avait dedans et ce qui la faisait marcher. Elle n’avait qu’à se bien tenir : je la conduirais sévèrement.

Je m’étais si bien laissé emporter par la joie que je ne m’apercevais pas que Capi était presque aussi joyeux que moi ; il me tirait par la jambe de mon pantalon et il jappait de temps en temps. Enfin ses jappements, de plus en plus forts, m’arrachèrent à mon rêve.

– Que veux-tu, Capi ?

Il me regarda, et, comme j’étais trop troublé pour le comprendre, après quelques secondes d’attente, il se dressa contre moi et posa sa patte contre ma poche, celle où était ma montre.

Il voulait savoir l’heure « pour la dire à l’honorable société », comme au temps où il travaillait avec Vitalis.

Je la lui montrai ; il la regarda assez longtemps, comme s’il cherchait à se rappeler, puis, se mettant à frétiller de la queue, il aboya douze fois ; il n’avait pas oublié. Ah ! comme nous allions gagner de l’argent avec notre montre ! C’était un tour de plus sur lequel je n’avais pas compté.

Comme tout cela se passait dans la rue vis-à-vis la porte de la prison, il y avait des gens qui nous regardaient curieusement et même qui s’arrêtaient.

Si j’avais osé j’aurais donné une représentation tout de suite, mais la peur des sergents de ville m’en empêcha.

D’ailleurs il était midi, c’était le moment de me mettre en route.

– En avant !

Je donnai un dernier regard, un dernier adieu à la prison, derrière les murs de laquelle le pauvre père allait rester enfermé, tandis que moi j’irais librement où je voudrais, et nous partîmes.

L’objet qui m’était le plus utile pour mon métier c’était une carte de France ; je savais qu’on en vendait sur les quais, et j’avais décidé que j’en achèterais une : je me dirigeai donc vers les quais.

En passant sur la place du Carrousel mes yeux se portèrent machinalement sur l’horloge du château des Tuileries, et l’idée me vint de voir si ma montre et le château marchaient ensemble, ainsi que cela devait être. Ma montre marquait midi et demi, et l’horloge du château une heure. Qui des deux allait trop lentement ? J’eus envie de donner un coup de pouce à ma montre, mais la réflexion me retint : rien ne prouvait que c’était ma montre qui était dans son tort, ma belle et chère montre ; et il se pouvait très-bien que ce fût l’horloge du château des rois qui battît la breloque. Là-dessus je remis ma montre dans ma poche en me disant que pour ce que j’avais à faire, mon heure était la bonne heure !

Il me fallut longtemps pour trouver une carte, au moins comme j’en voulais une, c’est-à-dire collée sur toile, se pliant et ne coûtant pas plus de vingt sous, ce qui pour moi était une grosse somme ; enfin j’en trouvai une si jaunie que le marchand ne me la fit payer que soixante-quinze centimes.

Maintenant je pouvais sortir de Paris, – ce que je me décidai à faire au plus vite.

J’avais deux routes à prendre ; celle de Fontainebleau par la barrière d’Italie, ou bien celle d’Orléans par Montrouge : en somme, l’une m’était tout aussi indifférente que l’autre, et le hasard fit que je choisis celle de Fontainebleau.

Comme je montais la rue Mouffetard dont le nom que je venais de lire sur une plaque bleue m’avait rappelé tout un monde de souvenirs : Garofoli, Mattia, Ricardo, la marmite avec son couvercle fermé au cadenas, le fouet aux lanières de cuir et enfin Vitalis, mon pauvre et bon maître, qui était mort pour ne pas m’avoir loué au padrone de la rue de Lourcine, il me sembla, en arrivant à l’église Saint-Médard, reconnaître dans un enfant appuyé contre le mur de l’église le petit Mattia : c’était bien la même grosse tête, les mêmes yeux mouillés, les mêmes lèvres parlantes, le même air doux et résigné, la même tournure comique ; mais chose étrange, si c’était lui, il n’avait pas grandi.

Je m’approchai pour le mieux examiner ; il n’y avait pas à en douter, c’était lui ; il me reconnut aussi, car son pâle visage s’éclaira d’un sourire.

– C’est vous, dit-il, qui êtes venu chez Garofoli avec le vieux à barbe blanche avant que j’entre à l’hôpital ? Ah ! comme j’avais mal dans la tête, ce jour-là.

– Et Garofoli est toujours votre maître ?

Il regarda autour de lui avant de répondre ; alors baissant la voix :

– Garofoli est en prison ; on l’a arrêté parce qu’il a fait mourir Orlando pour l’avoir trop battu.

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