Tout en attendant, nous continuâmes nos courses dans Londres, car nous n’étions pas de ces musiciens privilégiés qui prennent possession d’un quartier où ils ont un public à eux appartenant : nous étions trop enfants, trop nouveaux-venus pour nous établir ainsi en maîtres, et nous devions céder la place à ceux qui savaient faire valoir leurs droits de propriété par des arguments auxquels nous n’étions pas de force à résister.
Combien de fois, au moment de faire notre recette et après avoir joué de notre mieux nos meilleurs morceaux, avions-nous été obligés de déguerpir au plus vite devant quelque formidables Écossais aux jambes nues, au jupon plissé, au plaid, au bonnet orné de plumes qui, par le son seul de sa cornemuse, nous mettait en fuite : avec son cornet à piston Mattia aurait bien couvert le
De même nous n’étions pas de force contre les bandes de musiciens nègres qui courent les rues et que les Anglais appellent des
Un jour que nous étions ainsi leurs spectateurs, je vis un d’entre eux et le plus extravagant, faire des signes à Mattia ; je crus tout d’abord que c’était pour se moquer de nous et amuser le public par quelque scène grotesque dont nous serions les victimes, lorsqu’à ma grande surprise Mattia lui répondit amicalement.
– Tu le connais donc ? lui demandai-je.
– C’est Bob.
– Qui ça, Bob ?
– Mon ami Bob du cirque Gassot, un des deux clowns dont je t’ai parlé, et celui surtout à qui je dois d’avoir appris ce que je sais d’anglais.
– Tu ne l’avais pas reconnu ?
– Parbleu ! chez Gassot il se mettait la tête dans la farine et ici il se la met dans le cirage.
Lorsque la représentation des
Ce fut ainsi que nous gagnâmes les approches de Noël ; alors au lieu de partir de la cour du Lion-Rouge, le matin, nous nous mettions en route tous les soirs vers huit ou neuf heures et nous gagnions les quartiers que nous avions choisis.
D’abord nous commençons par les squares et par les rues où la circulation des voitures a déjà cessé : il nous faut un certain silence pour que notre concert pénètre à travers les portes closes, pour aller réveiller les enfants dans leur lit et leur annoncer l’approche de Noël, cette fête chère à tous les cœurs anglais ; puis à mesure que s’écoulent les heures de la nuit nous descendons dans les grandes rues ; les dernières voitures portant les spectateurs des théâtres passent, et une sorte de tranquillité s’établit, succédant peu à peu au tapage assourdissant de la journée ; alors nous jouons nos airs les plus tendres, les plus doux, ceux qui ont un caractère mélancolique ou religieux, le violon de Mattia pleure, ma harpe gémit et quand nous nous taisons pendant un moment de repos, le vent nous apporte quelque fragment de musique que d’autres bandes jouent plus loin : notre concert est fini : « Messieurs et mesdames, bonne nuit et gai Noël ! »
Puis nous allons plus loin recommencer un autre concert.