Nous débarquions en France, n’ayant que nos vêtements et nos instruments, – Mattia ayant eu soin de prendre ma harpe, que j’avais laissée dans la tente de Bob, la nuit où j’avais été à l’auberge du Gros-Chêne ; – quant à nos sacs, ils étaient restés avec leur contenu dans les voitures de la famille Driscoll ; cela nous mettait dans un certain embarras, car nous ne pouvions pas reprendre notre vie errante sans chemises et sans bas, surtout sans carte. Par bonheur, Mattia avait douze francs d’économies et en plus notre part de recette provenant de notre association avec Bob et ses camarades, laquelle s’élevait à vingt-deux shillings, ou vingt-sept francs cinquante ; cela nous constituait une fortune de près de quarante francs, ce qui était considérable pour nous. Mattia avait voulu donner cet argent à Bob pour subvenir aux frais de mon évasion, mais Bob avait répondu qu’on ne se fait pas payer les services qu’on rend par amitié, et il n’avait voulu rien recevoir.
Notre première occupation, en sortant de Éc
En effet, où aller maintenant que nous étions en France ? Quelle route suivre ? Comment nous diriger ?
Ce fut la question que nous agitâmes en sortant d’Isigny par la route de Bayeux.
– Pour moi, dit Mattia, je n’ai pas de préférence, et je suis prêt à aller à droite ou à gauche ; je ne demande qu’une chose.
– Laquelle ?
– Suivre le cours d’un fleuve, d’une rivière ou d’un canal, parce que j’ai une idée.
Comme je ne demandais pas à Mattia de me dire son idée, il continua :
– Je vois qu’il faut que je te l’explique, mon idée : quand Arthur était malade, madame Milligan le promenait en bateau, et c’est de cette façon que tu l’as rencontrée sur le
– Il n’est plus malade.
– C’est-à-dire qu’il est mieux ; il a été très-malade, au contraire, et il n’a été sauvé que par les soins de sa mère. Alors mon idée est que pour le guérir tout à fait, madame Milligan le promène encore en bateau sur les fleuves, les rivières, les canaux qui peuvent porter le
– Qui dit que le
– Rien : cependant, comme le
– Mais Lise, Alexis, Benjamin, Étiennette !
– Nous les verrons en cherchant madame Milligan ; il faut donc que nous gagnions le cours d’un fleuve ou d’un canal : cherchons sur ta carte quel est le fleuve le plus près.
La carte fut étalée sur l’herbe du chemin, et nous cherchâmes le fleuve le plus voisin ; nous trouvâmes que c’était la Seine.
– Eh bien ! gagnons la Seine, dit Mattia.
– La Seine passe à Paris.
– Qu’est-ce que cela fait ?
– Cela fait beaucoup ; j’ai entendu dire à Vitalis que quand on voulait trouver quelqu’un, c’était à Paris qu’il fallait le chercher ; si la police anglaise me cherchait pour le vol de l’église Saint-Georges, je ne veux pas qu’elle me trouve : ce ne serait pas la peine d’avoir quitté l’Angleterre.
– La police anglaise peut donc te poursuivre en France ?
– Je ne sais pas ; mais si cela est, il ne faut pas aller à Paris.
– Ne peut-on pas suivre la Seine jusqu’aux environs de Paris, la quitter et la reprendre plus loin ; je ne tiens pas à voir Garofoli.
– Sans doute.
– Eh bien, faisons ainsi : nous interrogerons les mariniers, les haleurs, le long de la rivière, et comme le
Je n’avais pas d’objections à présenter contre l’idée de Mattia ; il fut donc décidé que nous gagnerions le cours de la Seine pour le côtoyer en le remontant.
Après avoir pensé à nous, il était temps de nous occuper de Capi ; teint en jaune, Capi n’était pas pour moi Capi ; nous achetâmes du savon mou, et à la première rivière que nous trouvâmes, nous le frottâmes vigoureusement, nous relayant quand nous étions fatigués.
Mais la teinture de notre ami Bob était d’excellente qualité ; il nous fallut de nombreuses baignades, de longs savonnages ; il nous fallut surtout des semaines et des mois pour que Capi reprît sa couleur native. Heureusement la Normandie est le pays de l’eau, et chaque jour nous pûmes le laver.
Par Bayeux, Caen, Pont-l’Évêque et Pont-Audemer, nous gagnâmes la Seine à La Bouille.