Depuis que nous courrions derrière le
Mais nous n’attendions plus ; aussi les recettes baissaient-elles, en même temps que ce qui nous était resté sur nos quarante francs diminuait chaque jour : loin de mettre de l’argent de côté, nous prenions sur notre capital.
– Dépêchons-nous, disait Mattia, rejoignons le
Et je disais comme lui : dépêchons-nous.
Jamais le soir nous ne nous plaignions de la fatigue, si longue qu’eût été l’étape ; et tout au contraire nous étions d’accord pour partir le lendemain de bonne heure.
– Éveille-moi, disait Mattia, qui aimait à dormir.
Et quand je l’avais éveillé, jamais il n’était long à sauter sur ses jambes.
Pour faire des économies nous avions réduit nos dépenses, et comme il faisait chaud, Mattia avait déclaré qu’il ne voulait plus manger de viande « parce qu’en été la viande est malsaine » ; nous nous contentions d’un morceau de pain avec un œuf dur que nous nous partagions, ou bien d’un peu de beurre ; et quoique nous fussions dans le pays du vin nous ne buvions que de l’eau.
Que nous importait !
Cependant Mattia avait quelquefois des idées de gourmandise.
– Je voudrais bien que madame Milligan eût encore la cuisinière qui te faisait de si bonnes tartes aux confitures, disait-il, cela doit être joliment bon, des tartes à l’abricot.
– Tu n’en as jamais mangé ?
– J’ai mangé des chaussons aux pommes, mais je n’ai jamais mangé des tartes à l’abricot, seulement j’en ai vu. Qu’est-ce que c’est que ces petites choses blanches qui sont collées sur la confiture jaune ?
– Des amandes.
– Oh !
Et Mattia ouvrait la bouche comme pour avaler une tarte entière.
Comme l’Yonne fait beaucoup de détours entre Joigny et Auxerre, nous regagnâmes, nous qui suivions la grande route, un peu de temps sur le
À chaque écluse nous avions de ses nouvelles, car sur ce canal où la navigation n’est pas très-active, tout le monde avait remarqué ce bateau qui ressemblait si peu à ceux qu’on voyait ordinairement.
Non-seulement on nous parlait du
Arthur était donc mieux.
Nous approchions de Dreuzy ; encore deux jours, encore un, encore quelques heures seulement.
Enfin nous apercevons les bois dans lesquels nous avons joué avec Lise à l’automne précédent, et nous apercevons aussi l’écluse avec la maisonnette de dame Catherine.
Sans nous rien dire, mais d’un commun accord, nous avons forcé le pas, Mattia et moi, nous ne marchons plus, nous courons ; Capi, qui se retrouve, a pris les devants au galop.
Il va dire à Lise que nous arrivons : elle va venir au-devant de nous.
Cependant ce n’est pas Lise que nous voyons sortir de la maison, c’est Capi qui se sauve comme si on l’avait chassé.
Nous nous arrêtons tous les deux instantanément, et nous nous demandons ce que cela peut signifier ; que s’est-il passé ? Mais cette question nous ne la formulons ni l’un ni l’autre, et nous reprenons notre marche.
Capi est revenu jusqu’à nous et il s’avance, penaud, sur nos talons.
Un homme est en train de manœuvrer une vanne de l’écluse, ce n’est pas l’oncle de Lise.
Nous allons jusqu’à la maison, une femme que nous ne connaissons pas va et vient dans la cuisine.
– Madame Suriot ? demandons-nous.
Elle nous regarde un moment avant de nous répondre, comme si nous lui posions une question absurde.
– Elle n’est plus ici, nous dit-elle à la fin.
– Et où est-elle ?
– En Égypte.
Nous nous regardons Mattia et moi interdits. En Égypte ! Nous ne savons pas au juste ce que c’est que l’Égypte, et où se trouve ce pays, mais vaguement nous pensons que c’est loin, très-loin, quelque part au delà des mers.
– Et Lise ? Vous connaissez Lise ?
– Pardi : Lise est partie en bateau avec une dame anglaise.
Lise sur le
La femme se charge de nous répondre que nous sommes dans la réalité.
– C’est vous Rémi ? me demande-t-elle.
– Oui.
– Eh bien, quand Suriot a été noyé, nous dit-elle.
– Noyé !