Le magister nous explique qu’il y a aussi à craindre l’expansion de l’air, qui, aussitôt qu’un trou sera percé, va se précipiter comme un boulet de canon et tout renverser. Il faut donc nous tenir sur nos gardes et veiller sur nous comme les piqueurs veillent sur eux.
L’ébranlement causé au massif par les coups de pic détachait dans le haut de la remontée des petits morceaux de charbon qui roulaient sur la pente et allaient tomber dans l’eau.
Chose bizarre, plus le moment de notre délivrance approchait, plus nous étions faibles : pour moi je ne pouvais pas me soutenir, et couché dans mon charbon menu, il m’était impossible de me soulever sur le bras ; je tremblais et cependant je n’avais plus froid.
Enfin, quelques morceaux plus gros se détachèrent et roulèrent entre nous : l’ouverture était faite au haut de la remontée : nous fûmes aveuglés par la clarté des lampes.
Mais instantanément, nous retombâmes dans l’obscurité ; le courant d’air, un courant d’air terrible, une trombe entraînant avec elle des morceaux de charbon et des débris de toutes sortes, les avait soufflées.
— C’est le courant d’air, n’ayez pas peur, on va les rallumer au dehors. Attendez un peu.
Attendre ! Encore attendre !
Mais au même instant un grand bruit se fit dans l’eau de la galerie, et m’étant retourné, j’aperçus une forte clarté qui marchait sur l’eau clapoteuse.
— Courage ! courage ! criait-on.
Et pendant que par la descente on arrivait à donner la main aux hommes du palier supérieur, on venait à nous par la galerie.
L’ingénieur était en tête ; ce fut lui qui le premier escalada la remontée, et je fus dans ses bras avant d’avoir pu dire un mot.
Il était temps, le cœur me manqua.
Cependant j’eus conscience qu’on m’emportait ; puis, quand nous fûmes sortis de la galerie plate, qu’on m’enveloppait dans des couvertures.
Je fermai les yeux, mais bientôt j’éprouvai comme un éblouissement qui me força à les ouvrir.
C’était le jour. Nous étions en plein air.
En même temps, un corps blanc se jeta sur moi : c’était Capi, qui, d’un bond, s’était élancé dans les bras de l’ingénieur et me léchait la figure. En même temps, je sentis qu’on me prenait la main droite et qu’on m’embrassait. — Rémi ! dit une voix faible (c’était celle de Mattia). Je regardai autour de moi, et alors j’aperçus une foule immense qui s’était tassée sur deux rangs, laissant un passage au milieu de la masse. Toute cette foule était silencieuse, car on avait recommandé de ne pas nous émouvoir par des cris ; mais son attitude, ses regards parlaient pour ses lèvres.
Au premier rang, il me sembla apercevoir des surplis blancs et des ornements dorés qui brillaient au soleil. C’était le clergé de Varses qui était venu à l’entrée de la mine prier pour notre délivrance.
Quand nous parûmes, il se mit à genoux sur la poussière, car pendant ces quatorze jours, la terre mouillée par l’orage avait eu le temps de sécher.
Vingt bras se tendirent pour me prendre, mais l’ingénieur ne voulut pas me céder et, fier de son triomphe, heureux et superbe, il me porta jusqu’aux bureaux où des lits avaient été préparés pour nous recevoir.
Deux jours après je me promenais dans les rues de Varses suivi de Mattia, d’Alexis, de Capi, et tout le monde sur mon passage s’arrêtait pour me regarder.
Il y en avait qui venaient à moi et me serraient la main avec des larmes dans les yeux.
Et il y en avait d’autres qui détournaient la tête. Ceux-là étaient en deuil et se demandaient amèrement pourquoi c’était l’enfant orphelin qui avait été sauvé, tandis que le père de famille, le fils étaient encore dans la mine, misérables cadavres charriés, ballottés par les eaux.
Mais parmi ceux qui m’arrêtaient ainsi il y en avait qui étaient tout à fait gênants, ils m’invitaient à dîner ou bien à entrer au café.
— Tu nous raconteras ce que tu as éprouvé, disaient-ils.
Et je remerciais sans accepter, car il ne me convenait point d’aller ainsi raconter mon histoire à des indifférents, qui croyaient me payer avec un dîner ou un verre de bière.
D’ailleurs j’aimais mieux écouter que raconter, et j’écoutais Alexis, j’écoutais Mattia qui me disaient ce qui s’était passé sur terre pendant que nous étions sous terre.
— Quand je pensais que c’était pour moi que tu étais mort, disait Alexis, ça me cassait bras et jambes, car je te croyais bien mort.