— Moi, je n’ai jamais cru que tu étais mort, disait Mattia, je ne savais pas si tu sortirais vivant de la mine et si l’on arriverait à temps pour te sauver, mais je croyais que tu ne t’étais pas laissé noyer, de sorte que si les travaux de sauvetage marchaient assez vite on te trouverait quelque part. Alors, tandis qu’Alexis se désolait et te pleurait, moi je me donnais la fièvre en me disant : « Il n’était pas mort, mais il va peut-être mourir. » Et j’interrogeais tout le monde : « Combien peut-on vivre de temps sans manger ? Quand aura-t-on épuisé l’eau ? Quand la galerie sera-t-elle percée ? » Mais personne ne me répondait comme je voulais. Quand on vous a demandé vos noms et que l’ingénieur après Carrory, a crié Rémi, je me suis laissé aller sur la terre en pleurant, et alors on m’a un peu marché sur le corps, mais je ne l’ai pas senti tant j’étais heureux.
Je fus très-fier de voir que Mattia avait une telle confiance en moi qu’il ne voulait pas croire que je pouvais mourir.
Chapitre 7
Une leçon de musique
Je m’étais fait des amis dans la mine : de pareilles angoisses supportées en commun unissent les cœurs ; on souffre, on espère ensemble, on ne fait qu’un.
L’oncle Gaspard ainsi que le magister particulièrement m’avaient pris en grande affection ; et bien que l’ingénieur n’eût point partagé notre emprisonnement, il s’était attaché à moi comme à un enfant qu’on a arraché à la mort ; il m’avait invité chez lui et, pour sa fille, j’avais dû faire le récit de tout ce qui nous était arrivé pendant notre long ensevelissement dans la remontée.
Tout le monde voulait me garder à Varses.
— Je te trouverai un piqueur, me disait l’oncle Gaspard, et nous ne nous quitterons plus.
— Si tu veux un emploi dans les bureaux, me disait l’ingénieur, je t’en donnerai un.
L’oncle Gaspard trouvait tout naturel que je retournasse dans la mine, où il allait bientôt redescendre lui-même avec l’insouciance de ceux qui sont habitués à braver chaque jour le danger, mais moi qui n’avais pas son insouciance ou son courage, je n’étais nullement disposé à reprendre le métier de rouleur. C’était très-beau une mine, très-curieux, j’étais heureux d’en avoir vu une, mais je l’avais assez vue, et je ne me sentais pas la moindre envie de retourner dans une remontée.
À cette pensée seule, j’étouffais. Je n’étais décidément pas fait pour le travail sous terre ; la vie en plein air, avec le ciel sur la tête, même un ciel neigeux, me convenait mieux. Ce fut ce que j’expliquai à l’oncle Gaspard et au magister, qui furent, celui-ci surpris, celui-là peiné de mes mauvaises dispositions à l’égard du travail des mines ; Carrory, que je rencontrai, me dit que j’étais un capon.
Avec l’ingénieur, je ne pouvais pas répondre que je ne voulais plus travailler sous terre, puisqu’il m’offrait de m’employer dans ses bureaux et de m’instruire si je voulais être attentif à ses leçons ; j’aimai mieux lui raconter la vérité entière, ce que je fis.
— Et puis, tu aimes la vie en plein air, dit-il, l’aventure et la liberté ; je n’ai pas le droit de te contrarier, mon garçon, suis ton chemin.
Cela était vrai que j’aimais la vie en plein air, je ne l’avais jamais mieux senti que pendant mon emprisonnement dans la remontée ; ce n’est pas impunément qu’on s’habitue à aller où l’on veut, à faire ce que l’on veut, à être son maître.
Pendant qu’on essayait de me retenir à Varses, Mattia avait paru sombre et préoccupé ; je l’avais questionné ; il m’avait toujours répondu qu’il était comme à son ordinaire ; et ce ne fut que quand je lui dis que nous partirions dans trois jours qu’il m’avoua la cause de cette tristesse en me sautant au cou.
— Alors tu ne m’abandonneras pas ? s’écria-t-il.
Sur ce mot je lui allongeai une bonne bourrade, pour lui apprendre à douter de moi, et aussi un peu pour cacher l’émotion qui m’avait étreint le cœur en entendant ce cri d’amitié.
Car c’était l’amitié seule qui avait provoqué ce cri et non l’intérêt. Mattia n’avait pas besoin de moi pour gagner sa vie, il était parfaitement capable de la gagner tout seul.
À vrai dire même, il avait pour cela des qualités natives que je ne possédais pas au même degré que lui, il s’en fallait de beaucoup. D’abord il était bien plus apte que moi à jouer de tous les instruments, à chanter, à danser, à remplir tous les rôles. Et puis il savait encore bien mieux que moi engager « l’honorable société », comme disait Vitalis, à mettre la main à la poche. Rien que par son sourire, ses yeux doux, ses dents blanches, son air ouvert, il touchait les cœurs les moins sensibles à la générosité, et sans rien demander il inspirait aux gens l’envie de donner ; on avait plaisir à lui faire plaisir. Cela était si vrai que, pendant sa courte expédition avec Capi, tandis que je me faisais rouleur, il avait trouvé le moyen d’amasser dix-huit francs, ce qui était une somme considérable.