Là une question se présentait : devions-nous suivre la Seine ou bien devions-nous suivre la Marne ? C’était ce que je m’étais demandé bien souvent en étudiant ma carte, mais sans trouver de meilleures raisons pour une route plutôt que pour une autre.
Heureusement en arrivant à Charenton, nous n’eûmes pas à balancer, car à nos demandes on répondit pour la première fois qu’on avait vu un bateau qui ressemblait au
Mattia fut si joyeux qu’il se mit à danser sur le quai : puis tout à coup, cessant de danser, il prit son violon et joua frénétiquement une marche triomphale.
Pendant ce temps, je continuais d’interroger le marinier qui avait bien voulu nous répondre : le doute n’était pas possible, c’était bien le
Deux mois ! Cela lui donnait une terrible avance sur nous. Mais qu’importait ! En marchant nous finirions toujours par le rejoindre, bien que nous n’eussions que nos jambes, tandis que lui il avait celles de deux bons chevaux.
La question de temps n’était rien : le fait capital, extraordinaire, merveilleux, c’était que le
— Qui a eu raison ? criait Mattia.
Si j’avais osé j’aurais avoué que mon espérance était vive aussi, très-vive, mais je n’osais pas préciser, même pour moi seul, toutes les idées, toutes les folies qui faisaient s’envoler mon imagination.
Nous n’avons plus besoin de nous arrêter maintenant pour interroger les gens, le
Mais à Moret le Loing se jette dans la Seine, et il faut recommencer nos questions.
Le
À Montereau il faut les reprendre encore.
Cette fois le
Nous nous rapprochons de Lise en même temps que nous suivons le
Nous arrivons au confluent de l’Yonne et de l’Armençon, le
Depuis que nous courrions derrière le
Mais nous n’attendions plus ; aussi les recettes baissaient-elles, en même temps que ce qui nous était resté sur nos quarante francs diminuait chaque jour : loin de mettre de l’argent de côté, nous prenions sur notre capital.
— Dépêchons-nous, disait Mattia, rejoignons le
Et je disais comme lui : dépêchons-nous.
Jamais le soir nous ne nous plaignions de la fatigue, si longue qu’eût été l’étape ; et tout au contraire nous étions d’accord pour partir le lendemain de bonne heure.
— Éveille-moi, disait Mattia, qui aimait à dormir.
Et quand je l’avais éveillé, jamais il n’était long à sauter sur ses jambes.
Pour faire des économies nous avions réduit nos dépenses, et comme il faisait chaud, Mattia avait déclaré qu’il ne voulait plus manger de viande « parce qu’en été la viande est malsaine » ; nous nous contentions d’un morceau de pain avec un œuf dur que nous nous partagions, ou bien d’un peu de beurre ; et quoique nous fussions dans le pays du vin nous ne buvions que de l’eau.
Que nous importait !
Cependant Mattia avait quelquefois des idées de gourmandise.
— Je voudrais bien que madame Milligan eût encore la cuisinière qui te faisait de si bonnes tartes aux confitures, disait-il, cela doit être joliment bon, des tartes à l’abricot.
— Tu n’en as jamais mangé ?
— J’ai mangé des chaussons aux pommes, mais je n’ai jamais mangé des tartes à l’abricot, seulement j’en ai vu. Qu’est-ce que c’est que ces petites choses blanches qui sont collées sur la confiture jaune ?
— Des amandes.
— Oh !
Et Mattia ouvrait la bouche comme pour avaler une tarte entière.
Comme l’Yonne fait beaucoup de détours entre Joigny et Auxerre, nous regagnâmes, nous qui suivions la grande route, un peu de temps sur le
À chaque écluse nous avions de ses nouvelles, car sur ce canal où la navigation n’est pas très-active, tout le monde avait remarqué ce bateau qui ressemblait si peu à ceux qu’on voyait ordinairement.