– Tu pars avec un certain handicap, ma Zofia. Voyons les choses en face, le mal est devenu universel et presque aussi invisible que nous. Tu joues en défense, ton adversaire en attaque. Il te faudra d'abord identifier les forces qu'il liguera contre toi. Trouve le lieu où il tentera d'opérer. Laisse-le peut-être agir en premier et combats ses projets du mieux que tu le pourras. Ce n'est que lorsque tu l'auras neutralisé que tu auras une chance de mettre en œuvre un grand dessein. Ton seul atout sera la connaissance du terrain. Ils ont choisi San Francisco comme théâtre d'opérations… par le plus pur des hasards.
Se balançant sur sa chaise, Lucas achevait de prendre connaissance du même document sous l'œil attentif de son
Entouré des membres de son cabinet qui avaient pris place autour de la table aux proportions démesurées (elle s'étirait jusqu'à la cloison qui séparait l'immense salle du bureau adjacent),
Sous l'impulsion du directeur de la communication, un dénommé Blaise, l'assemblée s'achemina vers l'unique porte de sortie. Resté assis,
En chemin, il lui remit plusieurs passeports, des devises, un grand trousseau de clés de voitures, et exhiba une carte de crédit de couleur platine qu'il agita sous son nez.
– Doucement avec les notes de frais, n'abusez pas!
D'un geste vif et agacé, Lucas s'empara du rectangle en plastique et renonça à serrer la main la plus adipeuse de toute l'organisation. Habitué de la chose, Blaise frotta sa paume sur le dos de son pantalon et cacha gauchement ses mains dans ses poches. Dissimuler était une des grandes spécialités de l'individu qui s'était hissé jusqu'à ce poste, non par compétence, mais par tout ce que la volonté d'ascension peut produire de fourberie et d'hypocrisie. Blaise congratula Lucas, lui dit qu'il avait pesé de tout son poids (une litote, compte tenu de sa physionomie) pour favoriser sa candidature. Lucas n’accorda pas le moindre crédit à ses propos: Blaise n’etalt à ses yeux qu'un incompétent à qui l'on avait confié la responsabilité de la communication interne, pour d'exclusives raisons de parenté.
Lucas ne prit même pas la peine de croiser ses doigts quand il promit de rendre régulièrement compte à Blaise de l'avancement de sa mission. Au sein de l'organisation qui l'employait, mystifier était le moyen le plus sûr dont disposaient les directeurs pour pérenniser leurs pouvoirs. Pour plaire à leur
Zofia embrassa la main de son parrain et l'assura qu'elle ne le décevrait pas. Elle lui demanda si elle pouvait lui confier un secret. Michaël acquiesça d'un signe de tête. Elle hésita et lui avoua que
– Ils changent parfois de couleur, mais il t'est interdit de dire à quiconque ce que tu as vu dedans.
Elle promit et sortit dans le corridor. Il l'accompagna à l'ascenseur. Juste avant que les portes ne se referment, il lui souffla, complice:
–
Zofia rougit. Michaël fit mine de n'en avoir rien vu.
– Pour eux, ce défi n'est peut-être qu'un maléfice de plus; pour nous, c'est une question de survie. Nous comptons tous sur toi.
Quelques instants plus tard, elle traversa à nouveau le grand hall. Pierre jeta un œil sur ses écrans de contrôle, la voie était libre. La porte coulissa à nouveau dans la façade et Zofia put accéder à la rue.
Au même moment, Lucas sortait de l'autre côté de la Tour. Un dernier éclair zébra le ciel au loin, au dessus des collines de Tiburon. Lucas héla un taxi, la voiture se rangea devant lui et il grimpa dans le Yellow Cab.
Sur le trottoir d'en face, Zofia courait vers sa voiture, un agent de la circulation était en train de rédiger une contravention.
– Belle journée, vous allez bien? dit Zofia à la femme en uniforme.
La contractuelle tourna lentement la tête afin de s'assurer que Zofia ne se moquait pas d'elle.
– Nous nous connaissons? demanda l'agent Jones.
– Non, je ne crois pas.
Dubitative, elle mâchouillait son stylo en dévisageant Zofia. Elle détacha l'amende de sa souche.
– Et vous, vous allez bien? demanda-t-elle en glissant le PV sur le pare-brise.