Читаем Sept jours pour une éternité… полностью

La voiture de Zofia filait le long de Van Ness Avenue, sur son passage tous les feux passaient au vert. Elle alluma le poste de radio et chercha une fréquence rock. Ses doigts frappaient le volant au gré des percussions, ils tapaient intensément, de plus en plus fort, jusqu'à ce que la douleur envahisse les phalanges. Elle bifurqua dans Pacific Heights et vint se ranger sans ménagement devant la petite maison.


Les fenêtres du rez-de-chaussée étaient éteintes. Zofia monta vers l'étage. Lorsqu'elle posa son pied sur la troisième marche de l'escalier, la porte de Miss Sheridan s'entrouvrit. Zofia suivit le rai de lumière qui filait à travers la pénombre jusque dans l'appartement de Reine.

– Je t'avais prévenue!

– Bonsoir, Reine.

– Assieds-toi donc près de moi, tu me diras plutôt bonsoir en repartant. Quoique, à voir ta mine, il est possible qu'on se dise plutôt bonjour à ce moment-là.

Zofia s'approcha du fauteuil. Elle s'assit sur la moquette et posa sa tête sur l'accoudoir. Reine lui caressa les cheveux avant de prendre la parole:

– Tu as une question, j'espère? Parce que, moi, j'ai une réponse!

– Je suis bien incapable de vous dire ce que je ressens.

Zofia se leva, avança vers la fenêtre et souleva le voile. La Ford semblait dormir dans la rue. Reine reprit:

– Loin de moi l'idée d'être indiscrète. Enfin, à l'impossible, nul n'est tenu! À mon âge, le futur rétrécit à vue d'œil, et quand on est presbyte comme je le suis, il y a de quoi s'inquiéter. Alors chaque jour qui passe, je regarde devant moi, avec la fâcheuse impression que la route va s'arrêter à la pointe de mes chaussures.

– Pourquoi dites-vous ça, Reine?

– Parce que je connais ta générosité, et ta pudeur aussi. Pour une femme de mon âge, les joies, les tristesses de ceux qu'on aime sont comme des kilomètres gagnés dans la nuit qui s'annonce. Vos espoirs, vos envies nous rappellent qu'après nous le chemin continue, que ce que nous avons faIt de notre vie a eu un sens, même infime… un tout petit bout de raison d'être. Alors maintenant, tu vas me dire ce qui ne va pas!

– Je ne sais pas!

– Ce que tu ressens s'appelle le manque!

– Il y a tant de choses que j'aimerais pouvoir vous dire.

– Ne t'inquiète pas, je les devine…

Reine souleva doucement le menton de Zofia de la pointe du doigt.

– Réveille-moi donc ton sourire; il suffit d'une minuscule graine d'espoir pour planter tout un champ de bonheur… et d'un peu plus de patience pour lui laisser le temps de pousser.

– Vous avez aimé quelqu'un, Reine?

– Tu vois toutes ces vieilles photos dans ces albums, eh bien, elles ne servent strictement à rien! La plupart des gens qui sont dessus sont déjà morts depuis longtemps et, pourtant, elles sont très importantes pour moi. Sais-tu pourquoi?… Parce que je les prises! Si tu savais comme je voudrais que mes jambes m'emmènent encore une fois là-bas! Profite, Zofia! Cours, ne perds pas de temps! Nos lundis sont parfois éreintants, nos dimanches maussades, mais Dieu que le renouvellement de la semaine es doux.

Reine ouvrit la paume de sa main, prit l'index de Zofia et lui fit parcourir le trait de sa ligne de vie.

– Sais-tu ce qu'est le Bachert, Zofia?

Zofia ne répondit pas, la voix de Reine se fit plus douce encore:

– Écoute bien, c'est la plus belle histoire du monde: le Bachert est la personne que Dieu t'a destinée, elle est l'autre moitié de toi-même, ton vrai amour. Alors, toute l'intelligence de ta vie sera de la trouver… et, surtout, de la reconnaître.

Zofia regarda Reine en silence. Elle se leva, lui déposa un baiser plein de tendresse sur le front et lui souhaita bonne nuit. Avant de sortir, elle se retourna pour lui demander une dernière chose:

– Il y a un de vos albums que j'aimerais beaucoup voir.

– Lequel? Tu les as tous parcourus une bonne dizaine de fois!

– Le vôtre, Reine.

Et la porte se referma doucement sur elle.

Zofia gravit les marches. Sur son palier elle se ravisa, reprit l'escalier sans faire de bruit et réveilla la vieille Ford. La ville était presque déserte. Elle descendit California Street. Un feu la força à marquer l'arrêt devant l'entrée de l'immeuble où elle avait dîné. Le voiturier lui fit un petit signe amical de la main, elle détourna la tête et regarda Chinatown qui s'ouvrait à sa gauche. Quelques blocs plus bas, elle rangea sa voiture le long du trottoir, traversa le parvis à pied, apposa sa main sur la paroi est de la Tour pyramidale et entra dans le hall.

Elle salua Pierre et se dirigea vers l'ascenseur qui conduisait au dernier étage. Quand les portes s'ouvrirent, elle demanda à voir Michaël. L'hôtesse était désolée, le jour oriental était levé et son parrain œuvrait à l'autre bout du monde.

Elle hésita, et demanda si Monsieur était disponible.

– En principe oui, mais là, ça risque d'être un peu difficile.

La réceptionniste ne put résister à l'envie de répondre à l'air intrigué de Zofia.

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