– Tu demandes l'impossible, leur opposition est trop grande, jamais ils ne nous laisseront nous aimer.
– Il suffirait d'un peu d'espoir, d'un signe. Toi seul peux décider de changer, Lucas, donne-leur une preuve de bonne volonté.
– Je voudrais tellement que tu dises vrai et que cela soit si facile.
– Alors, essaie, je t'en supplie!
Lucas s'amuit et le silence régna. Il s'éloigna de quelques pas vers l'étrave rouillée du grand navire. A chaque claquement de ses amarres qui se tendaient dans des grincements sauvages, le
– J'ai peur, Zofia…
– Moi aussi. Laisse-moi t'emmener dans mon monde, j'y guiderai chacun de tes pas, j'apprendrai tes réveils, j'inventerai tes nuits, je resterai près de toi. J'effacerai tous les destins tracés, recoudrai toutes les blessures. Tes jours de colère, je lierai tes mains dans ton dos pour que tu ne te fasses pas mal, je collerai ma bouche à la tienne pour étouffer tes cris et rien ne sera plus jamais pareil, et si tu es seul noou serons seuls à deux.
Il la prit dans ses bras, effleura sa joue et caressa son oreille du timbre grave de sa voix.
– Si tu savais tous les chemins que j'ai employés pour arriver à toi. Je ne savais pas, Zofia, je me suis trompé si souvent, et j'ai recommencé à chaque fois avec plus de joie encore, plus de fierté. Je voudrais que notre temps s'arrête pour pouvoir le vivre, te découvrir et t'aimer comme tu le mérites, mais ce temps-là nous lie sans nous appartenir. Je suis d'une autre société où tout n'est que personne, tout n'est qu'unique; je suis le mal, toi le bien, je suis ta différence, mais je crois que je t'aime, alors demande-moi ce que tu veux.
– Ta confiance.
Ils quittèrent la zone portuaire et la voiture remonta 3rd Street. Zofia cherchait une grande artère, un lieu plein de passage, traversé d'hommes et de véhicules.
Blaise entra dans le grand bureau, penaud, le teInt blafard.
– C'est pour mon cours particulier d'échecs? clama
Blaise tira à lui un gros fauteuil noir.
– Reste debout, crétin! Et puis non, finalement assieds-toi, moins je vois ta personne mieux je me porte! Donc pour résumer la situation, notre élite aurait viré de bord?
–
– Tais-toi! Tu m'as entendu te demander de parler? As-tu aperçu sur ma bouche que mes oreilles avaient envie d'entendre le son de ta voix nasillarde?
– Je…
– Tu te tais!
– Il n'est pas question que nous le perdions à notre cause, reprit
Blaise prit une feuille et griffonna quelques lignes à la hâte.
– Lucas me le paiera très cher. Ramène-le ici avant la nuit, et ne t'avise pas de rater ton coup cette fois-ci!
– Il ne reviendra pas de son plein gré.
– Tu sous-entendrais que sa volonté serait supérieure à la mienne?
– Je sous-entends simplement qu'il faudra qu'il meure…
– … En oubliant un petit détail… c'est déjà fait depuis longtemps, imbécile!
– Si une balle a pu le toucher, d'autres moyens de l'atteindre existent.
– Alors, trouve-les au lieu de parler!
Blaise s'éclipsa, il était midi. Le jour s'effacerait dans cinq heures, ce qui lui laissait peu de temps pour rédiger les termes d'un redoutable contrat. Organiser le meurtre de son meilleur agent ne laissait aucune place au hasard.
La Ford était garée à l'intersection de Polk et de California, face à une grande surface. À cette heure de la journée le ruban de véhicules était ininterrompu. Zofia avisa un homme âgé qui semblait hésiter à s'engager avec sa canne sur le passage clouté. Le temps imparti pour franchir les quatre files était très court.
– Et que fait-on maintenant? dit Lucas d'un air désabusé.
– Aide-le! répondit-elle en désignant le vieux piéton.
– Tu plaisantes?
– Pas le moins du monde.
– Tu veux que je fasse traverser un boulevard à un vieillard? Ça ne me semble pas très compliqué…
– Alors fais-le!
– Eh bien, je vais le faire, dit Lucas en s'éloignant à reculons.
Il s'approcha de l'homme et revint aussitôt sur ses pas.
– Je ne vois pas l'intérêt de ce que tu me demandes.