— C’est là que ça se gâte, dit Adamsberg, mais on n’a pas le choix. On ne va pas débarquer à huit chez lui avec nos blousons de flics ou même en civil, il nous tirerait dessus illico. Ce n’est pas certain mais je pense que ce Gilles – si c’est bien lui – a son arme à proximité, mais sans doute pas en permanence. Il faut le mettre en confiance. Rien de tel qu’une femme pour cela. Les mecs n’ont pas peur des femmes, ce en quoi ils ont bien tort. On sera garés à trente mètres et Retancourt partira à pied devant nous, avec un porte-documents et des formulaires de recensement de la mairie, j’ai été en prendre ce matin. C’est elle qui ira sonner à la porte, à deux heures moins le quart, avant le match. Car vous entrerez seule, Retancourt, vous l’avez bien compris ?
— Capté, commissaire.
— Vous entrerez seule et sans gilet pare-balles. Même caché sous un grand blouson, il vous ferait immédiatement repérer. Le type ouvre et la stature de Retancourt lui bouche la vue et ne lui permet pas de nous voir nous planquer dans le pré et nous mettre à nos postes. C’est elle qui court le plus gros danger, je l’envoie au feu en première ligne et sans défense. Le type la reçoit mal, mais Retancourt, ayant converti ses capacités hors du commun en timidité et politesse, s’excuse et explique qu’elle vient pour le recensement, que cela ne lui prendra que deux à trois minutes, promis. Notre homme maugrée mais rassuré, il accepte. Retancourt demande à entrer pour s’asseoir et remplir sa fiche. Elle passe le pas de la porte et amorce ses questions. Cela vous paraît possible, Violette ?
— Oui. Il peut évidemment vouloir me flanquer dehors à coups de bottes, auquel cas je lui envoie un direct au menton.
— Si c’est indispensable, lieutenant, mais la consigne est : pas de violences. Sitôt Retancourt dans la place, Matthieu et moi entrons et encerclons le gars. Je le tiens en joue et Matthieu lui passe les menottes. Il tempête et je lui montre l’autorisation du juge. Je reviens à notre opération, Noël, et vous feriez bien d’écouter attentivement. Il peut y avoir des impondérables. Une réaction imprévue du gars. Ceux qui gardent les sorties nord et arrière ne bougent pas. Une fois Gilles hors d’état de nuire, on fait procéder à la perquisition. Matthieu, amène cinq de tes gendarmes et un photographe qui attendront dehors à l’abri de la haie. On sifflera deux fois dès qu’on aura besoin d’eux. Est-ce que tu as un perceur de coffre dans ton équipe à Rennes ?
— Pas sur place mais je peux le faire venir.
— Fais-le. On en aura besoin.
Il était treize heures et la troupe quitta l’auberge.
— Faites attention à vous, Violette, pria Johan sur le pas de sa porte.
Et sitôt son auberge vide, il s’éclipsa vers le chemin du vieux pont – les hirondelles aimaient nicher sous son arcade – à la recherche de l’oiseau blanc pour porter chance à Violette, que le commissaire exposait à une démarche si périlleuse.
XXXII
En vue de la longère de Gilles, les trois voitures banalisées ralentirent pour réduire le bruit des moteurs et stoppèrent à trente mètres de la grille d’entrée, derrière la haie. À deux heures moins le quart, Retancourt descendit, en chemisette bleu clair de fonctionnaire et papiers sous le bras, et entra dans la propriété.
À travers les trous de la haie, les hommes la virent traverser le pré avec la tranquillité lasse d’une employée de mairie qui vient faire son boulot, prenant même le temps de s’arrêter sous le grand pommier pour y observer un couple de mésanges. Elle voyait l’homme la surveiller à travers un des carreaux de la porte.
Il ouvrit avant même qu’elle ait sonné. Il était en effet grand, bien charpenté, laid, les cheveux ras, le nez cassé et des dents manquantes. On n’aurait pu imaginer mieux pour une tête de malfrat.
— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda-t-il sans saluer.
— Bonjour monsieur, dit Retancourt de sa voix la plus innocente, et désolée de vous déranger. C’est pour le recensement, dit-elle en montrant ses formulaires à en-tête de la mairie de Combourg.
— Recensement pour quoi ?
— Pour compter le nombre des habitants de la communauté de communes, monsieur. Cela ne vous prendra qu’une minute ou deux, pas plus, je vous le promets.
— Ça va. Déballez vos questions, mais vite.
En se penchant sur ses papiers, Retancourt vit l’arme coincée dans la ceinture de l’homme.
— Cela vous ennuie si j’entre pour caler mes feuilles ?
— Ça va, répéta l’homme, asseyez-vous et débitez vos questions. Quels emmerdeurs, à la mairie.
— Je n’y suis pour rien, monsieur. C’est obligatoire.
— Ça va, j’ai dit. Débitez.
— Combien de personnes vivent dans cette maison ?
— Moi.
— Pas de domestiques ? Pas de famille ?
— Non.
— Donc, une personne, dit Retancourt en remplissant sa fiche. Vous voyez, c’est déjà fini.
Matthieu et Adamsberg firent irruption à cet instant, se postant chacun de part et d’autre de l’homme. Mais en une seconde, Gilles avait sorti son pistolet et en appuyait le canon contre le front de Retancourt, le chien levé.