Читаем Sur la dalle полностью

— Ne vous en faites pas, vous ne serez ni le premier ni le dernier à subir mes questions. J’ai déjà interrogé sept de ceux qui se trouvaient à l’auberge avant-hier, et ce n’est pas fini.

— Interrogé sur quoi ? Que se passe-t-il, commissaire ?

— Gaël Leuven a été assassiné avant-hier soir.

— Quoi ? dit Josselin en élevant la voix et posant les mains sur les accoudoirs du fauteuil en bois, comme prêt à se lever.

— Assassiné. Comment se fait-il que vous n’en ayez rien su ? C’était trop tôt pour être dans la presse hier mais la nouvelle courait déjà dans tout Louviec.

— Hier, j’étais chez un ami d’enfance à Dol. Interrogez-le si cela vous intéresse. Mais Gaël ? Qu’est-il arrivé ? La discussion aurait à ce point mal tourné avant-hier soir à l’auberge ? Il faut reconnaître qu’il était fin saoul et qu’il distribuait les invectives à la ronde comme on sème du grain. Il a poussé la provocation trop loin ? Quelqu’un lui a fracassé une bouteille sur le crâne ?

— Pourquoi pensez-vous à une bouteille ?

— Parce que c’est déjà arrivé, il y a cinq à six années de cela. Il a traité Kemener d’« escargot baveux », et Kemener a bondi, bouteille en main, et l’a brisée sur le crâne de Gaël.

— Kemener est le directeur d’école, dit Matthieu en direction d’Adamsberg.

— Et il est vrai qu’il a tendance à beaucoup saliver, ajouta Josselin. Tout ce qu’il a réussi à faire, c’est à fendre le cuir chevelu de Gaël. Le patron, Johan, le seul costaud qui peut en remontrer au garde-chasse, a réussi à séparer les deux hommes et a téléphoné à la gendarmerie.

— Eh bien, monsieur de Chateaubriand…

— Interrogatoire ou pas, vous ne pourriez pas m’économiser ce « monsieur de Chateaubriand » ? Tout le monde m’appelle Josselin ici, ou Chateau, ou Chateaubriand.

Matthieu coupa le magnétophone.

— Je suis navré, Josselin, mais le protocole de l’interrogatoire enregistré exige que je vous appelle par votre nom. On pourrait autrement m’accuser de complaisance.

— Je comprends, dit Josselin. Alors poursuivez. Le protocole vous autorise-t-il à me dire ce qui est arrivé à Gaël ? Je ne peux pas le comprendre. Oui, c’était un provocateur, un ironiste, voire même une sorte de brute quand il avait trop bu, mais au fond de lui, comme on dit, c’était le bon gars.

— « Bon gars » ? Et c’est vous, qu’il a tant moqué, pas plus tard qu’avant-hier en vous aspergeant de vin, qui dites cela ?

— Rien n’assure qu’il ait renversé ce vin exprès, il titubait. Quant à ses railleries, ses attaques même, ça tombait un peu au hasard sur la tête de tout le monde, moi compris. Cela portait surtout sur des défauts physiques ou d’apparence, nez, cheveux, dents, oreilles, allure, ça n’allait pas bien loin car Gaël n’était pas bien beau lui-même et il le savait. Il se moquait aussi des maigrelets, des trouillards. Rien d’agréable là-dedans mais rien de très grave non plus.

— Et vous appelez ça un « bon gars » ?

— J’entends par là qu’il n’y avait pas de haine en lui. Du chagrin depuis la mort de sa mère, de la colère, et c’est là que cela s’est amplifié. On pouvait grincer des dents sous l’insulte, mais de là à le tuer, non. Ne le caricaturons pas : c’était en même temps un homme franc, cordial, toujours un mot pour chacun, quand il était à jeun bien sûr. Même avec moi, quand on se croisait dans la forêt. Cette femme en revanche, la Serpentin, qui est venue le mettre au défi à l’auberge, elle le détestait profondément. Et elle avait un autre motif que de voir son ombre piétinée. C’est la sœur de Joumot. Pas besoin d’aller chercher bien loin pour savoir d’où ce fouineur tenait ses informations. Celui-là, oui, c’est un haineux, sans aucun doute, tout comme sa sœur. Tous deux, ils font la paire. Pardon, commissaire, se reprit-il soudain, je n’ai pas à formuler des suspicions à votre place, je suis navré, je retire mes mots.

Matthieu ouvrit un tiroir et en sortit un grand sachet, taché de sang.

— Et cela, monsieur de Chateaubriand, dit-il en le montrant à Josselin, cela vous dit quelque chose ? Ne vous en faites pas, je le montre à tout le monde.

— Mais c’est mon couteau ! clama Josselin en se levant. Mon propre couteau ! Je peux ? dit-il en tendant une main vers le sachet.

— Bien entendu, mais ne l’ouvrez pas surtout.

— Regardez ! continua Josselin avec une excitation rare dans sa voix. Là, à côté de la marque sur le manche – un couteau Ferrand, les meilleurs qui soient –, il y a une éraflure ! C’est le mien, il n’y a aucun doute !

Soudain, Josselin lança le couteau sur la table, comme s’il voulait le voir le plus loin possible de lui.

— C’est avec cela qu’on l’a tué, n’est-ce pas ?

— Oui.

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