Читаем Sur la dalle полностью

— Rapide si elle y est allée à vélo, mais risqué. Sa bécane est rouge et tout le monde la connaît. C’est une femme à aimer se faire remarquer. À sa place, si j’avais voulu aller chez Josselin discrètement, j’aurais mis des habits ternes et je serais passé par les petites rues qui contournent l’arrière du village. C’est plus long mais c’est quasi vide. Et à pied, disons vingt minutes. J’ai été l’interroger hier à quinze heures trente. Elle m’a juré sur le bon Dieu qu’elle n’avait pas bougé de sa maison la veille. Je lui ai signalé que quatre de ses amies étaient venues mardi pour cancaner et qu’elle n’avait pas répondu. « C’est que mon linge tournait », a-t-elle dit. « La machine fait un bruit terrible, j’ai rien entendu. » J’ai demandé à voir le linge sécher, et il n’y en avait pas. Elle était coincée, troublée et en colère – elle n’a pas la résistance d’un Josselin –, elle a crié que si je voulais tout savoir, oui, elle était chez elle, d’accord, mais elle s’était endormie devant sa télé. Que si elle ne l’avait pas dit, c’est qu’elle ne voulait pas qu’on la prenne pour une feignasse. Elle m’a supplié de garder ça pour moi, que ça lui causerait trop de tort.

— Pourquoi ?

— Elle a la réputation d’être une énergique infatigable. Alors faire la sieste, ça casserait son image.

— Ça se tient, dit Adamsberg.

— Ça se tient, répéta Matthieu en avalant la moitié de son verre et en attaquant son repas. Mais je n’oublie pas que c’est une menteuse avérée doublée d’une affabulatrice. Sa seule faiblesse avouée et même revendiquée : sa terreur qu’on marche sur son ombre. Raison pour laquelle elle aurait tué Gaël.

— C’est facile face à un homme qui marche en oscillant et les yeux à moitié clos. Et avec ce couteau, elle collait cela sur le dos de Josselin.

— J’ai pourtant du mal à l’imaginer enfoncer cette lame. Quelle que soit sa haine, comme dit Josselin.

— Tiens, il a oublié son panier de champignons sur le comptoir de Johan.

— Il ne l’a pas oublié, il n’en mange jamais. Il les donne. À Catherine, à Johan, à qui veut.

— Il va souvent en cueillir ?

— Mais presque tous les jours. Pendant huit mois, tout le temps de la saison.

Adamsberg posa sa fourchette et jeta un regard au panier, qu’il voyait d’un œil neuf.

— Tu essaies de me dire qu’il part dans les bois presque chaque matin pour remplir son panier alors qu’il n’aime pas les champignons ?

— C’est cela, dit Matthieu en avalant une gorgée. Il n’aime pas non plus la forêt. Une fois la saison achevée, il n’y met plus les pieds.

— Mais comment explique-t-il cela ?

— Il ne l’explique pas. Quand on le questionne, il fait un geste d’ignorance et voilà tout. Personne ne l’explique.

— Mais ça n’a pas de sens. Surtout que cela prend du temps et exige des connaissances.

— Disons que c’est assez cinglé, oui. Chacun y va de son interprétation. Ce serait un vœu, une promesse, un souvenir… Moi, je dis que c’est tout bonnement cinglé. Ou bien il aime à vagabonder sans but, les champignons n’étant qu’un prétexte : ce serait la touche de romantisme héritée de son aïeul.

— Il vagabonde pour rêver, peut-être. Cela m’arrive souvent, dit Adamsberg.

— Ah bon ? À heures fixes ?

— Comment veux-tu ? Avec le travail ? Non, quand l’occasion s’en présente. Parfois, je quitte même la Brigade et cela met le consciencieux Danglard hors de lui. Mais je peux aussi bien vagabonder assis sur ma chaise, les pieds dans l’âtre de la cheminée.

— Et tu rêves à quoi ?

— Je ne sais pas.

— Encore ton « Je ne sais pas ».

— Mais parce que c’est vrai.

Huit coups sonnaient à l’église toute proche et l’auberge se remplissait des habitués et de quelques touristes.

— Les conversations vont aller bon train, commenta Matthieu.

— Ce n’est pas donné ici. Comment se fait-il que les habitants de Louviec puissent y venir assez souvent ? Ils ne me semblent pas très riches.

— Ils ne le sont pas, dit Matthieu en baissant le ton. Mais il y a deux tarifs ici. Un pour ceux de Louviec, un pour les étrangers. Johan, le patron, dit qu’un restaurant vide n’incite personne à y entrer. Les dîneurs autochtones servent en quelque sorte d’appât, et particulièrement Josselin. Si tu savais combien de gens viennent ici pour le voir, ou se faire photographier avec lui, c’est inouï. Ce pauvre Josselin, je te l’ai dit, est la meilleure publicité du village. Pendant les périodes touristiques, il fait doubler le chiffre d’affaires à lui seul.

— Et, sans que ce soit un ordre, il n’a pas le droit de couper ses longues boucles brunes. Qui lui vont bien d’ailleurs. Au fond, c’est un esclave.

— En quelque sorte. Mais bien aimé et bien traité.

— Sauf par celui ou celle qui veut lui coller un assassinat sur les épaules.

Adamsberg s’immobilisa brusquement.

— Qu’est-ce que tu as ?

Fourchette en l’air, verre suspendu à mi-chemin, Adamsberg s’était figé, le regard semblant porter très loin.

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