À sept heures moins le quart, il alla serrer chaleureusement la main du maître des lieux et donna le signal du départ. Les habitants de Louviec étaient tous sur le pas de leur porte ou à leur fenêtre pour assister au spectacle. Ils avaient beau avoir été informés, l’essaimage de cette troupe d’hommes en bleu, armés, portant leur bandeau au dos de leurs blousons et leurs écussons sur le bras, les perturba, chacun à sa manière, les uns maudissant le déversement de cette flicaille à travers le village, les autres bénissant cette sensation de sécurité, d’autres encore assistant à cette invasion comme à un spectacle divertissant. Beaucoup enfin, rassurés par cette présence, sortirent pour leur promenade digestive ou pour balader le chien, commentant la situation.
— Si l’assassin a l’intention de sortir de sa tanière, il aura drôlement du mal à toucher sa cible.
— Impossible, tu veux dire. Ce n’est pas un tireur embusqué sur un toit. C’est un rôdeur des rues. Il est coincé.
— Mais les flics ne resteront pas là des mois. Peut-être une petite semaine.
— Et pourquoi faire tout ce chahut ? Le gars va se planquer jusqu’à ce qu’ils vident les lieux.
— Ils doivent avoir un plan. Les flics.
— On suppose toujours que les flics ont un plan, et en fait, ils en ont pas.
XXI
Deux nuits s’étaient écoulées sans que rien ne se passe. Les policiers avaient contrôlé les retours de ceux qui travaillaient hors de Louviec, puis les quelques passants nocturnes, ceux qui allaient boire un coup et faire une partie de dés au Café de l’Arcade, ceux qui allaient dîner chez des amis, et les inévitables promeneurs de chiens. Tous avaient présenté leurs papiers, donné le nom des employeurs ou des amis et les alibis avaient été vérifiés. Quant aux promeneurs de chiens, ils étaient suivis jusqu’à ce qu’un autre flic prenne le relais, si la promenade était longue. Qui irait tuer en emmenant son chien ? Néanmoins, les policiers faisaient le boulot et relevaient les noms. Nuits solitaires et barbantes, seulement rythmées par le sandwich et le gâteau de Johan, vers minuit, qui en valaient la peine. Et puis rapports adressés aux deux commissaires qui les passaient rapidement en revue depuis deux nuits, c’est-à-dire cent huit « RAS » chaque soir.
— Décourageant, non ? lui dit Matthieu.
— Non. Comment veux-tu qu’il tue dans des rues qui grouillent de flics ?
— Alors on va attendre toute la vie comme ça ?
— Non plus. Je t’ai dit que sa fureur grandissait. Laissons-lui le temps de revenir de sa stupeur et de mettre au point une tactique nouvelle. Il va trouver quelque chose, sois-en sûr. Je ne sais pas, je n’en sais rien, mais je le crois.
XXII