— Considérez donc, intervint Veyrenc en fixant Matthieu droit dans les yeux, que les « films » d’Adamsberg sont dignes d’être entendus.
— Je maintiens simplement, intervint paisiblement Adamsberg, qui sentait monter la querelle entre Veyrenc et Matthieu, que mes inventions ne sont pas que des élucubrations. Selon Johan, quelques années plus tard, le docteur se rend à Los Angeles pour des retrouvailles émouvantes. Chez Jameson.
— Le docteur y est parti deux ans et quatre mois après le séjour de Jameson en France, pour trois semaines et trois jours, dit Mercadet.
Veyrenc lança un nouveau regard à Matthieu, qui détourna la tête pour ne pas l’affronter.
— Et en presque un mois sous le même toit, les deux hommes deviennent réellement très bons amis. Et je reviens à notre salopard de Robic.
— Il me plaît à moi, ce film, dit Johan, c’est vivant, il y a des rebondissements.
— Ce n’est pas la vraie histoire, rectifia une nouvelle fois Matthieu. Nous sommes des flics, on n’a pas besoin d’histoire, mais de faits et de preuves.
— Ou de très lourdes présomptions, corrigea Adamsberg. Un millionnaire qui ne veut pas tester mais qui laisse tout son fric à une crapule, et qui meurt quelques heures après, un retour en vitesse après ce coup, un notaire probablement véreux qui a contrôlé l’acte…
— Pardon, coupa à nouveau Mercadet en levant le nez de son écran, le notaire de L.A. qui a réglé la succession de Jameson, maître Richard Martin Cartney, est décédé dans un accident d’avion, très peu de temps avant le départ de Robic. L’appareil, un petit jet personnel dont il se servait souvent, a explosé en vol et s’est écrasé en torche, la boîte noire était inutilisable.
— Merci, Mercadet, dit Adamsberg, pendant que Veyrenc lançait un nouveau coup d’œil impérieux à Matthieu. J’ajoute à ces éléments un gars de l’équipe, dit le Bourlingueur, qui se fait assassiner à Louviec dix jours après le retour de Robic. Ce ne sont pas des présomptions lourdes, tout cela ? Très lourdes ?
— Écrasantes, dit Johan. Et on veut la suite du film, insista-t-il.
— Une fois revenu en Bretagne, continua imperturbablement Adamsberg, Robic a besoin d’un peu de temps pour constituer son réseau d’anciens et nouveaux associés et se préparer. Il a l’intention de monter une nouvelle boîte comme couverture, comme à son habitude, et de poursuivre ses activités parallèles à l’abri de ce paravent. Mais à Louviec l’attendent trois écueils : la suspicion générale face à son héritage miracle…
— Mais légalement reconnu, coupa Matthieu, obstiné.
— Cessez donc, bon sang ! s’énerva Veyrenc, dont le visage avait perdu son habituelle impassibilité de buste romain. Bien sûr qu’il paraissait « légal » puisqu’ils ont contrefait l’écriture de Jameson !
— Légalement reconnu par un notaire pourri, insista Adamsberg.
— Il a été conclu à l’accident, Mercadet vient de nous le dire.
— Et je n’en crois rien, tu m’entends ? Car c’est un « accident » de trop. Comme la montre brisée était un indice de trop. Je reprends. À Combourg, second écueil quand Robic croise le docteur Jaffré qui lui fait nettement part de son scepticisme.
— En ce cas, dit Matthieu, pourquoi ne pas se débarrasser de Jaffré ?
— Parce que Robic ne fait pas tuer sans nécessité. L’homme est avisé, prudent, inémotif, réfléchi. Il se doute que le médecin possède une information venue de Jameson, mais que peut-il en faire ? Rien. Comme tu ne cesses de le répéter, Matthieu, le testament existe bel et bien, en apparente bonne et due forme. Jaffré s’est donc contenté de tourmenter délicatement Robic par cette souterraine menace. Enfin, à Louviec, troisième écueil : Jean Armez, dont on a dit qu’il sera abattu et cette fois par Robic en personne. Car aucun comparse de la bande n’accepterait d’éliminer un des leurs.
— Tout se tient, tout s’emboîte, approuva vigoureusement Retancourt.
— Et l’on arrive au terme, conclut Adamsberg. Robic, à la réception de la lettre de notre tueur, met rapidement sur pied l’assassinat du docteur. Il n’a qu’à piocher parmi ses hommes pour choisir l’exécuteur le plus adéquat.
— Et il en a, des hommes, dit Chateaubriand. Dix sur la région.
Adamsberg le considéra avec surprise.
— Comment savez-vous cela ?
— Vous oubliez, commissaire, dit Josselin en souriant, que je suis dans les meilleurs termes avec le fantôme de Combourg, qui peut se glisser partout, y compris à travers les murs. En réalité, depuis mon retour ici, je n’ai cessé d’avoir ce type à l’œil.
— Mais pourquoi ?
— Ça vous irait de dîner maintenant ? demanda Johan. Il va être vingt heures trente.
Chacun approuva et Johan se mit en action.
XXVIII