A la fin de nouveaux types aux faces jaunes amènent deux combinaisons plus importantes que les précédentes, avec des tuyaux branchés partout : dans le masque, dans la poitrine, le dos, le prose et la braguette. Ils nous les passent avec des gestes automatiques, prévus, répétés. Des gestes étudiés qu'ils pourraient accomplir les yeux fermés au millième de seconde près. Le Mahousse me virgule un regard de détresse. Toute sa bouille cireuse crie S.O.S. en béruréen. Il en a plein le dos (et moi donc !) de cet attirail barbare. Il voudrait retrouver ses vieux maillots de corps à trous, ses caleçons à fleurs et ses hardes fleurant bon la pomme de terre frite. Ça commence à lui galoper sur la prostate les chinoiseries chinoises.
Mais nous devons nous soumettre. Depuis trois jours notre vie ne tient qu'à un fil de plus en plus ténu. Nous nous poursuivons grâce à une incroyable (d'ailleurs qui vous demande d'y croire) succession de miracles improvisés à chaque seconde.
Je remarque que, non seulement, les gars ne nous parlent pas, mais qu'en outre ils ne se parlent pas entre eux. La musique ambiante fait partie de l'univers particulier où tout ce monde vit. Ces gens n'appartiennent plus à la surface de la terre. Pareils à des termites, ils préparent en son sein l'assaut du ciel.
Lorsque nous sommes bien harnachés, ils nous entraînent à leur suite dans ce labyrinthe secret, un peu comme une équipe de soigneurs escortent deux boxeurs jusqu'au ring. On passe des portes blindées, des pas blindées, des à volant, des à loquet, des à verrou, des à glissière, des à deux battants, des en bois, des en fer, des basses, des hautes, des dérobées !
Enfin on nous stoppe devant un énorme tube percé d'une ultime porte. A l'intérieur du tube se trouvent deux sièges bizarres et une foultitude d'appareils. Cette fois je glaglate sérieusement. On va passer à l'entraînement technique et ils vont découvrir que nous n'y connaissons que tchi à leurs bidules, que nous sommes deux hideux imposteurs, deux fumistes, deux analphabètes cosmiques et caustiques, deux rigolos, deux va-de-la-gueule, deux plaisantins, deux paumés.
Derrière sa tabatière, le Gros roule des agates de plus en plus désespérées. Il a envie de crier pouce (ou plutôt pousse-pousse puisqu'on est en Chine).
Mais, imperturbables, des Chinois-verts nous bloquent dans des sangles, nous connectent, nous branchent, nous tuyautent, nous enferment et nous abandonnent.
J'ai un bruit dans les oreilles. Un bruit de beignets dans la friture bouillante. Je comprends qu'il s'agit de la respiration du Gravos. Nous sommes en liaison par un des tubes acoustiques.
— Ohé, Mec ! appelé-je.
Je le vois sourciller en deçà de son bitos vitré.
— C'est toi que tu me causes ? demande-t-il.
—
— Ça se gâte, hein ? fait-il.
— Un peu, mon neveu.
— Qu'est-ce qu'ils nous maquillent ?
— Exercice de pilotage, Béru. On l'a in the baba car je ne suis pas foutu de savoir à quoi correspondent un seul de ces boutons, une seule de ces manettes !
Un sifflement métallique m'interrompt. Puis une voix naziliarde remplace celle de Béru.
Elle scande des mots d'une syllabe au rythme des secondes et je pige qu'on joue à la phase de décollage habituelle, au compte à rebours.
Effectivement, la dernière syllabe a été jetée avec plus de force.
Le tube dans lequel nous sommes bouclés reste immobile. Et puis il est parcouru d'un profond frémissement et j'ai l'impression qu'il retrouve aussitôt son immobilité. Mais soudain tout chavire, tout chancelle et me voici plongé dans le plus atroce cauchemar de tous les temps, car nous sommes tout à coup au sein d'une radieuse lumière. Cette lumière est celle du jour !
Nous nous trouvons en plein ciel !
CHAPITRE DIX-SEPT
Je sais que vous avez des réflexes plutôt lents (c'est-à-dire en somme que vous n'en avez pas) aussi me demandé-je si vous avez bien réalisé ce que je vous cause ?
En plein ciel, les gars ! Alors que deux secondes plus tôt nous croupissions au cœur de la terre. Ça veut dire que l'exercice supposé n'en est pas un et qu'on vient bel et bien de nous filer dans un suppositoire cosmique. Nous piquons dans un ciel immense, fabuleusement bleu.
Coup d'œil sur mon voisin : il est d'un vert artichaut extraordinaire, Béru. Il a des cernes presque noirs sous les gobilles, et la frousse paraît l'avoir vieilli de cent dix ans !
Je mate par la vitre de la cabine et j'aperçois, très au-dessous de nous, les rizières du Pou Lo Pô qui se recroquevillent. Une immense ouverture (qui d'ici parait minuscule) est pratiquée dans les champs de riz, cette ouverture se referme car il s'agit d'une rizière à glissière (les plus rares).
Nous sommes en liaison-radio avec les gars de la base et un organe chinetoque me virgule des conseils que je ne pige bien entendu pas.
— Je veux pas ! hurle brusquement Bérurier, au comble de l'effroi.