Si, pendant ces derni`eres trente-trois ann'ees, les plus heureuses peut-^etre de toute son histoire, l’Allemagne a form'e un corps politique hi'erarchiquement constitu'e et fonctionnant d’une mani`ere r'eguli`ere, `a quelles conditions un pareil r'esultat a-t-il pu ^etre obtenu et assur'e? C’'etait 'evidemment `a la condition d’une entente sinc`ere entre les deux grandes puissances qui repr'esentent en Allemagne les deux principes qui se disputent ce pays depuis plus de trois si`ecles. Mais cet accord lui-m^eme, si lent `a s’'etablir, si difficile `a conserver, croit-on qu’il e^ut 'et'e possible, qu’il e^ut pu durer aussi longtemps, si l’Autriche et la Prusse, `a l’issue des grandes guerres contre la France, ne se fussent intimement ralli'ees `a la Russie, fortement appuy'ees sur elle? Voil`a la combinaison politique qui, en r'ealisant pour l’Allemagne le seul syst`eme d’unit'e qui lui f^ut applicable, lui a valu cette tr^eve de trente-trois ans qu’elle vient de rompre.
Il n’y a ni haine, ni mensonge qui pourront jamais pr'evaloir contre ce fait-l`a. Dans un acc`es de folie, l’Allemagne a bien pu briser une alliance qui, sans lui imposer aucun sacrifice, assurait et prot'egeait son ind'ependance nationale, mais par l`a m^eme elle s’est priv'ee `a jamais de toute base solide et durable.
Voyez plut^ot la d'emonstration de cette v'erit'e par la contre-'epreuve des 'ev'enements, dans ce terrible moment o`u les 'ev'enements marchent presque aussi vite que la parole humaine. Il y a `a peine deux mois que la R'evolution en Allemagne s’est mise `a la besogne, et d'ej`a il faut lui rendre cette justice, l’oeuvre de la d'emolition dans ce pays est plus avanc'ee qu’elle ne l’'etait sous la main de Napol'eon apr`es dix de ses foudroyantes campagnes.
Voyez l’Autriche plus compromise, plus abattue, plus d'emantel'ee qu’en 1809. Voyez la Prusse vou'ee au suicide par sa connivence fatale et forc'ee avec le parti polonais. Voyez les bords du Rhin, o`u, en d'epit des chansons et des phrases, la conf'ed'eration Rh'enane n’aspire qu’`a rena^itre. L’anarchie partout, l’autorit'e nulle part, et tout cela sous le coup d’une France o`u bout une r'evolution sociale qui ne demande qu’`a d'eborder dans la r'evolution politique qui travaille l’Allemagne.
D`es `a pr'esent, pour tout homme sens'e la question de l’unit'e allemande est une question jug'ee. Il faudrait avoir ce genre d’ineptie propre aux id'eologues allemands pour se demander s'erieusement si ce tas de journalistes, d’avocats et de professeurs qui se sont r'eunis `a Francfort, en se donnant la mission de recommencer Charlemagne, ont quelque chance appr'eciable de r'eussir dans l’oeuvre qu’ils ont entreprise, si sur ce sol qui tremble ils auront la main assez puissante et assez habile pour relever la pyramide renvers'ee en la faisant tenir sur la pointe.
La question n’est plus l`a; il ne s’agit plus de savoir si l’Allemagne sera une, mais si de ces d'echirements int'erieurs compliqu'es probablement d’une guerre 'etrang`ere elle parviendra `a sauver un lambeau quelconque de son existence nationale.