Mais je quitte mes amis… pour ajouter encore quelques mots sur Paris.
Il est difficile de s’imaginer de loin ce qui se fait ici. Aucune de ces petites, pauvres garanties, données par le code à l’individu n’existe plus; une terreur policière domine la ville, une terreur féroce et hypocrite qui se tient dans les ténèbres, qui se cache derrière le mur, qui écoute derrière la porte. Les secrets de famille, les confidences amicales, tout tombe dans les mains sales des laquais de l’inquisition laïque. On fait des perquisitions on emporte les papiers – on ne restitue que les notes des tailleurs et des bottiers.
On craint tout le monde… On craint les portiers, les соmmissionnaires, ses domestiques et les trois quarts de ses amis. Les uns dorment ailleurs que chez eux; d’autres portent toujours un passeport visé pour quelque pays libre. Au coin des rues rôdent des figures patibulaires en redingote qui n’est pas faite à leur taille, en chapeau râpé, avec une moustache militaire. Ces êtres reconduisent les passants par leur regard, les suivent, les montrent à d’autres… Ce sont les
Le soir, des bandes d’espions vont à la chasse des journaux qui n’ont pas l’autorisation de la vente dans les rues. Par de petites ruses, en se parjurant, en mentant, ils parviennent à acheter un numéro de
Et qui est-ce donc celui qui fait to<…>[355]
Une société anonyme d’intrigants po
Dans une tyrannie – sans tyran – il y a quelque
Cette «
Mais le président n’est pas la cause du mal, il en est le résultat. Le principe morbifique est ailleurs, et d’abord, qui est-il, cet homme?
J’ai eu beau le regarder, je n’ai vu dans ses traits vulgaires,dans ses petits yeux torves, dans son nez d’une ignoble capacité – que des qualités négatives… et c’est ce qui m’a fait peur; c’est pour cela, pensai-je, qu’il sera grand, car
L’honneur de produire ces hommes fades, effacés, négatifs, sans sexe, sans talents et jouant un rôle historique – appartient exclusivement à notre siècle. J’ai vu de mes propres yeux le roi de Prusse, Pie IX et Louis Bonaparte – ce sont des vanités de la même famille <…>[363]
Lorsque j’ai passé le pont du Var, et un carabinier piémontois m’a demandé mon passeport pour l’inscrire, – je respirai avec liberté.
J’ai honte, je rougis pour la France et pour moi-même, mais je l’avoue, le même sentiment s’empara de mon âme lorsque je passai la frontière russe.
Enfin je laissai derrière moi cette contrée de la torture morale, de l’irritation fébrile, d’indignation, de colère. De ce côté du pont je serai étranger à tous, je ne connais pas les intérêts de ces gens, je ne les partage pas; je n’ai rien à faire avec eux, ils n’auront rien à faire à moi. Ici je peux être négativement indépendant, me reposer… jusqu’à ce que la Sainte Hermandade de la police universelle ne commencera sa croisade d’épuration dans le Piémon.
Le carabinier me remit le passeport.
…«Visto da reg. carab. al Ponte Varole il 23 giugno 1850».
Je quittai donc la France le jour de l’anniversaire terrible du 23 juin. Je regardai la montre. Il était quatre heures et demie арrès-midi.