Une Id'ee, une Forme, un ^EtreParti de l'azur et tomb'eDans un Styx bourbeux et plomb'eO`u nul oeil du Ciel ne p'en`etre;Un Ange, imprudent voyageurQu'a tent'e l'amour du difforme,Au fond d'un cauchemar 'enormeSe d'ebattant comme un nageur,Et luttant, angoisses fun`ebres!Contre un gigantesque remousQui va chantant comme les fousEt pirouettant dans les t'en`ebres;Un malheureux ensorcel'eDans ses t^atonnements futiles,Pour fuir d'un lieu plein de reptiles,Cherchant la lumi`ere et la cl'e;Un damn'e descendant sans lampe,Au bord d'un gouffre dont l'odeurTrahit l'humide profondeur,D''eternels escaliers sans rampe,O`u veillent des monstres visqueuxDont les larges yeux de phosphoreFont une nuit plus noire encoreEt ne rendent visibles qu'eux;Un navire pris dans le p^ole,Comme en un pi`ege de cristal,Cherchant par quel d'etroit fatalIl est tomb'e dans cette ge^ole;— Embl`emes nets, tableau parfaitD'une fortune irr'em'ediable,Qui donne `a penser que le DiableFait toujours bien tout ce qu'il fait!
II
T^ete-`a-t^ete sombre et limpideQu'un coeur devenu son miroir!Puits de V'erit'e, clair et noir,O`u tremble une 'etoile livide,Un phare ironique, infernal,Flambeau des gr^aces sataniques,Soulagement et gloire uniques,— La conscience dans le Mal!
Horloge! Dieu sinistre, effrayant, impassible,Dont le doigt nous menace et nous dit:"Souviens-toi!Les vibrantes douleurs dans ton coeur plein d'effroiSe planteront bient^ot comme dans une cible;Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizonAinsi qu'une sylphide au fond de la coulisse;Chaque instant te d'evore un morceau du d'elice`A chaque homme accord'e pour toute sa saison.Trois mille six cents fois par heure, la SecondeChuchote: Souviens-toi! — Rapide, avec sa voixD'insecte, maintenant dit: je suis Autrefois,Et j'ai pomp'e ta vie avec ma trompe immonde!Remember! Souviens-toi! Prodigue! Esto memor!(Mon gosier de m'etal parle toutes les langues.)Les minutes, mortel fol^atre, sont des ganguesQu'il ne faut pas l^acher sans en extraire l'or!Souviens-toi que le Temps est un joueur avideQui gagne sans tricher, `a tout coup! C'est la loi.Le jour d'ecro^it; la nuit augmente; souviens-toi!Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.Tant^ot sonnera l'heure o`u le divin Hasard,O`u l'auguste Vertu, ton 'epouse encor vierge,O`u le Repentir m^eme (oh! La derni`ere auberge!),O`u tout te dira: Meurs, vieux l^ache! Il est trop tard!"