Toi qui, comme un coup de couteau,Dans mon coeur plaintif es entr'ee;Toi qui, forte comme un troupeauDe d'emons, vins, folle et par'ee,De mon esprit humili'eFaire ton lit et ton domaine;— Inf^ame `a qui je suis li'eComme le forcat `a la cha^ine,Comme au jeu le joueur t^etu,Comme `a la bouteille l'ivrogne,Comme aux vermines la charogne,— Maudite, maudite sois-tu!J'ai pri'e le glaive rapideDe conqu'erir ma libert'e,Et j'ai dit au poison perfideDe secourir ma l^achet'e.H'elas! Le poison et le glaiveM'ont pris en d'edain et m'ont dit:"Tu n'es pas digne qu'on t'enl`eve`A ton esclavage maudit,Imb'ecile! — de son empireSi nos efforts te d'elivraient,Tes baisers ressusciteraientLe cadavre de ton vampire!"
Une nuit que j''etais pr`es d'une affreuse Juive,Comme au long d'un cadavre un cadavre 'etendu,Je me pris `a songer pr`es de ce corps vendu`A la triste beaut'e dont mon d'esir se prive.Je me repr'esentais sa majest'e native,Son regard de vigueur et de gr^aces arm'e,Ses cheveux qui lui font un casque parfum'e,Et dont le souvenir pour l'amour me ravive.Car j'eusse avec ferveur bais'e ton noble corps,Et depuis tes pieds frais jusqu'`a tes noires tresses,D'eroul'e le tr'esor des profondes caresses,Si, quelque soir, d'un pleur obtenu sans effortTu pouvais seulement, ^o reine des cruelles!Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.
Lorsque tu dormiras, ma belle t'en'ebreuse,Au fond d'un monument construit en marbre noir,Et lorsque tu n'auras pour alc^ove et manoirQu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse;Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuseEt tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,Emp^echera ton coeur de battre et de vouloir,Et tes pieds de courir leur course aventureuse,Le tombeau, confident de mon r^eve infini(Car le tombeau toujours comprendra le po`ete),Durant ces grandes nuits d'o`u le somme est banni,Te dira:"Que vous sert, courtisane imparfaite,De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts?"— Et le ver rongera ta peau comme un remords.