Rappelez-vous l'objet que nous v^imes, mon ^ame, Ce beau matin d''et'e si doux:Au d'etour d'un sentier une charogne inf^ame Sur un lit sem'e de cailloux,Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, Br^ulante et suant les poisons,Ouvrait d'une facon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons.Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire `a point,Et de rendre au centuple `a la grande nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint;Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s''epanouir.La puanteur 'etait si forte, que sur l'herbe Vous cr^utes vous 'evanouir.Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D'o`u sortaient de noirs bataillonsDe larves, qui coulaient comme un 'epais liquide Le long de ces vivants haillons.Tout cela descendait, montait comme une vague, Ou s''elancait en p'etillant;On e^ut dit que le corps, enfl'e d'un souffle vague, Vivait en se multipliant.Et ce monde rendait une 'etrange musique, Comme l'eau courante et le vent,Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van.Les formes s'effacaient et n''etaient plus qu'un r^eve, Une 'ebauche lente `a venir,Sur la toile oubli'ee, et que l'artiste ach`eve Seulement par le souvenir.Derri`ere les rochers une chienne inqui`ete Nous regardait d'un oeil f^ach'e,'Epiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu'elle avait l^ach'e.— Et pourtant vous serez semblable `a cette ordure, `A cette horrible infection,'Etoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion!Oui! Telle vous serez, ^o la reine des gr^aces, Apr`es les derniers sacrementsQuand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements.Alors, ^o ma beaut'e! Dites `a la vermine Qui vous mangera de baisers,Que j'ai gard'e la forme et l'essence divine De mes amours d'ecompos'es!
J'implore ta piti'e, toi, l'unique que j'aime,Du fond du gouffre obscur o`u mon coeur est tomb'e.C'est un univers morne `a l'horizon plomb'e,O`u nagent dans la nuit l'horreur et le blasph`eme;Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,Et les six autres mois la nuit couvre la terre;C'est un pays plus nu que la terre polaire;— Ni b^etes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois!Or il n'est pas d'horreur au monde qui surpasseLa froide cruaut'e de ce soleil de glaceEt cette immense nuit semblable au vieux chaos;Je jalouse le sort des plus vils animauxQui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,Tant l''echeveau du temps lentement se d'evide!