En sortant de chez Oscar, j’ai regagné les quartiers que je partageais avec Allison. Je l’ai trouvée assise à une table, les épaules voûtées, à écrire de manière obsessionnelle comme tous les jours depuis plusieurs semaines. Elle remplissait au crayon des feuilles de papier. Le papier n’avait pas été difficile à se procurer, Vox en fabriquant de petites quantités pour diverses raisons. Personne ne se servait par contre de stylos et crayons classiques, mais j’en avais expliqué le concept à Oscar qui avait consenti à faire produire par un atelier quelques échantillons de tiges de graphite à l’intérieur de tubes en fibre de carbone, assez proches de ce que nous appelions crayons « automatiques ».
L’Allison Pearl originale était graphomane, d’où (entre autres raisons) l’utilité de son journal pour les savants voxais l’ayant recréée. J’ai posé la main sur l’épaule d’Allison pour qu’elle s’aperçoive de ma présence. En me penchant, j’ai entrevu une partie de ce qu’elle écrivait (en grandes lettres cursives mal assurées : elle avait la pulsion d’écriture d’Allison Pearl, mais pas son habileté physique dans ce domaine). Vox était amarré assez près du continent antarctique, dans un profond bassin occupé autrefois par la barrière de Ross ; Allison écrivait ce qu’elle avait vu quand, plus tôt dans la journée, elle était montée dans une des hautes tours.
Elle a mis sa main sur le papier et levé les yeux vers moi.
« Oscar veut que j’aille dans les terres », ai-je dit.
Son regard a flamboyé, mais elle a gardé le silence.
Je lui ai raconté l’expédition projetée. Nous en avons discuté un peu, comme nous discutions de tout depuis quelque temps, en calculant l’effet que nos paroles pourraient avoir sur un auditoire invisible. L’idée n’a pas plu à Allison, mais elle n’a pas protesté.
Elle a fini par se remettre à écrire. J’ai pris l’un de mes livres (
Je me souvenais d’histoires sur l’ambassadeur martien Wun Ngo Wen, arrivé sur Terre pendant le Spin. La planète Mars telle qu’il en parlait semblait plus saine d’esprit que la Terre. Les Martiens avaient déjà commencé à exploiter, à un niveau modeste, la technologie des Hypothétiques pour leur fameux traitement de longévité. Mais à en croire le livre, ils avaient fini par le désavouer avec toutes les autres formes de technologie des Hypothétiques. La plupart des premiers philosophes bionormatifs étaient martiens, d’après le livre. Non qu’ils s’opposaient à la biotechnologie en soi – les premières démocraties corticales avaient été des inventions martiennes –, mais ils tenaient à les restreindre à la biotechnologie
Doctrine oppressive et à courte vue, sous-entendait le livre.