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Je t’ai parlé, il y a maintenant une cinquantaine d’années estériennes – eh oui, je vieillis, mais mes molécules correctrices font leur boulot […] signale que je suis encore très désirable, même si je n’ai plus le même appétit charnel –, de Mald Agauer et de Lill Andorn, cette ancienne membre de l’Hepta et son assistante qui avaient disparu de la circulation. Je pensais qu’elles avaient été […]l’une de ces terribles vagues de violence qui s’abattent régulièrement sur Ester et sur le Voxion […] la plupart des mentalistes ont […] dispersés ou massacrés […] échappé moi-même à la mort à de nombreuses reprises […] Les légions du moncle répandent la terreur dans les cités livrées au pillage et à […] L’empereur Holl, le fils aîné et successeur de Zjor, a été déposé par l’Église, promené pendant sept jours entièrement nu dans une cage transparente infestée de rondats […] a lutté longtemps contre les rongeurs qui le harcelaient, puis ils lui ont happé les jambes, les bras, lui ont sauté à la gorge et l’ont dévoré vivant […] Ester, gouvernée par le conseil des dioncles. Le Sexta-libre est devenu un trio, trois des membres dirigeants ayant été capturés et condamnés à subir un châtiment public plus cruel encore que celui de Holl. Je me suis retrouvée séparée de mon groupe, j’ai erré sur le continent Nord, me cachant dans les maisons abandonnées ou dans […] violée par un de ces groupes de miséreux qui hantent les transports publics estériens. D’en parler me donne la nausée, surtout à cause de l’odeur […] péripétie si je me suis enfuie sur le continent Sud, pris d’assaut par des millions d’émigrants portés par l’espoir d’une vie meilleure.

J’ai bien cru mourir à bord du bateau […] une succession de tempêtes terrifiantes […] En moins de trente ans, les techniciens du Nord ont épuisé la plus grande partie des ressources du Sud. Les cités ont poussé à la vitesse de champignons […] tous les problèmes liés à une urbanisation anarchique : surpopulation, taudis, criminalité, famine, épidémies, trafics de toutes sortes […] meurent de faim dans les rues, les femmes et leurs filles, âgées parfois de dix ans, se prostituent pour une galette de fizlo, les hommes s’abrutissent de mauvais alcool, les soldats estériens prélèvent une part exorbitante sur toutes les transactions, les légions du Moncle surgissent tous les deux ou trois jours, pillent, brûlent, massacrent. La première cité que j’ai traversée, La-Ne-Vra, ressemblait à un champ de bataille. Des cadavres jonchaient par centaines les rues et les trottoirs, la fumée et l’odeur rendaient l’atmosphère irrespirable […] heureusement sous la protection d’un homme que j’avais rencontré dans le bateau et que j’avais trouvé suffisamment digne d’intérêt pour lui ouvrir mes cuisses […] un chasseur, un aventurier armé d’un foudroyeur et dont la carrure imposait le respect […] comme un pied, et encore, un pied, surtout le tien, eût certainement fait preuve d’une sensibilité et d’une adresse supérieures […] m’a permis en tout cas de ne pas être importunée par les pouilleux qui pullulent […] sa jalousie morbide, j’ai réussi à lui fausser compagnie aux environs du péripôle […] ne supportais plus sa brutalité […] me suis retrouvée à Gloire-de-l’Un, anciennement Genko. Ce petit relais de chasse s’est métamorphosé, par la magie de l’immigration, en un gigantesque bidonville. Les gisements de stafer, découverts vingt ans plus tôt, ont attiré des milliers de prospecteurs alléchés par la possibilité de faire rapidement fortune, puis les compagnies estériennes ont posé leurs grosses pattes sur la région et ont racheté toutes les concessions, n’hésitant pas à recourir à la menace et au meurtre si nécessaire. Elles se sont livré une guerre farouche pour […] La violence […] omniprésente, presque palpable […] rapatrié les spécialistes voxions pour exploiter les mines, un afflux que les premiers colons ont considéré comme une provocation.

J’ai survécu dans les entrailles putrides de Gloire-de-l’Un en me prostituant […] pas très glorieux mais je n’avais pas d’autre choix que d’exploiter mes seules ressources, mon corps artificiellement conservé par les nanotecs, ce corps que tu as autrefois si divinement célébré. Je pensais à toi tandis que, pour cinq misérables estes, mes clients me plantaient leur soc immonde dans le ventre, qu’ils m’envoyaient leur épouvantable haleine dans les narines, qu’ils frottaient leur crasse à ma […] et se soulageaient dans un beuglement de yonak. Cette période n’a pas été la plus agréable de mon existence mais il me fallait sans doute descendre au plus bas pour entrevoir […] certitudes mentalistes s’étaient effilochées l’une après l’autre comme les fils d’une trame usée.

J’ai essayé de recontacter mentalement les éléments dispersés du mouvement, mais personne n’a répondu à mes sollicitations, soit qu’ils aient succombé à la répression monclale, soit qu’ils aient désactivé leurs canaux pour ne pas risquer l’interception. Tu ne peux pas savoir à quel point je t’ai envié. À propos, je ne t’ai pas encore demandé comment tu allais, ni comment allait ta Kropte d’épouse ? Mais ne parlons pas de choses qui […] Alors que je commençais à perdre espoir et que je songeais de plus en plus sérieusement au suicide, un de mes clients, un Kropte, un des rares rescapés du génocide – tu vois, j’ai couché moi aussi avec un Kropte, nous sommes quittes, mais, contrairement à ta maîtresse de l’espace, il n’avait aucun don pour les choses du sexe –, m’a parlé de cette réserve près du pôle où, selon lui, deux mentalistes s’étaient rendues quelques dizaines d’années plus tôt. La réserve n’avait pas conservé bien longtemps son statut. Chassée par les compagnies, la dernière peuplade kropte s’est réfugiée plus au sud, au milieu des glaces éternelles. Toujours d’après mon client – dix estes pour une passe de deux minutes et une conversation d’une heure, une bonne affaire finalement –, une des deux mentalistes, la plus ancienne, était morte, l’autre vivait toujours sur la banquise.

J’ai immédiatement […] le lien avec Mald Agauer et Lill Andorn […] rassemblé mes maigres économies, j’ai stipendié un chasseur […] Après le relais de Toukl, cette brute a voulu […] dans la neige mais je ne l’ai pas supporté, je l’ai tué avec son propre coutelas et j’ai moi-même piloté son autogliz jusqu’à la banquise. Là, j’ai erré sur la glace jusqu’à ce que l’appareil tombe en panne de carburant, et je serais probablement morte de faim et de froid si je n’avais pas reçu une impulsion télémentale m’enjoignant de marcher en direction du sud. Je ne savais pas si cette pensée émanait réellement d’un correspondant ou si elle n’était qu’une expression de mon subconscient, toujours est-il que je n’avais plus rien à perdre et que je me suis exécutée. J’ai déambulé pendant des heures sur la banquise, transie, exténuée, émerveillée par le spectacle de cette immensité immaculée et irisée par les pâles rayons de l’A. J’avais l’impression d’avancer vers ma mort, ou ma rédemption, vers un état apaisé en tout cas, et puis, au moment où je m’apprêtais à m’allonger sur la glace, vidée de mes forces, soulagée, heureuse presque de mettre un terme à l’absurdité de mon existence, t’aimant comme au premier jour – j’ai définitivement décidé d’apposer le mot amour sur mes sentiments envers toi, malgré l’irruption dans ta vie de cette peste kropte –, j’ai vu approcher deux grands aros blancs, deux bêtes magnifiques dont la course aérienne soulevait de somptueuses gerbes blanches. Je n’ai pas eu le temps d’éprouver la moindre peur, j’ai aperçu le traîneau qu’ils tiraient et les silhouettes des trois hommes de l’équipage […] d’un rêve, avoir franchi un seuil où les désirs se concrétisent sous la forme de mirages, mais j’ai été soulevée, allongée sur un confortable matelas de peaux, roulée dans d’épaisses couvertures, j’ai senti une douce chaleur investir peu à peu mon corps et chasser le froid de mes membres […] transportée dans un village de glace édifié autour d’un large puits d’eau tiède. Là, une femme est venue à ma rencontre, vêtue de fourrures, plus très jeune mais encore très belle avec ses longs cheveux blancs qui contrastaient avec le noir profond de ses yeux. Il m’a fallu dix secondes pour reconnaître Lill Andorn, mon ancienne rivale, la femme que j’ai sans doute le plus détestée avec la Kropte que tu as osé épouser. Elle m’a souhaité la bienvenue avec une telle chaleur dans la voix et le regard que j’ai su instantanément que j’étais arrivée au terme de mes errances.

Ceci est notre dernière communication par l’intermédiaire des nanotecs. Dans les jours prochains, j’aurai la possibilité de te contacter sans ces interférences parasites qui perturbent nos échanges, et je t’indiquerai de quelle manière procéder pour utiliser le même canal que moi. Une ère nouvelle s’ouvre. À très bientôt, mon bel amour qui s’éloigne.

Retranscription pirate d’une communication télémentale entre une ancienne membre du Sexta-libre et L’Estérion.
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