Читаем Abzalon полностью

L’Estérion connut ses premières défaillances techniques onze années après son lancement. Les chariots automatiques ne passaient plus pendant deux ou trois jours, puis ils effectuaient une dizaine de livraisons en deux heures d’intervalle, transportant de la nourriture encore lyophilisée, immangeable. Au début les deks se rationnèrent et partagèrent les rares repas consommables, mais il s’avéra bientôt qu’ils ne pourraient pas tenir très longtemps à ce régime. Des femmes enceintes tombèrent malades, puis des enfants, des vieillards et tous ceux qui ne jouissaient pas d’une bonne santé. C’est ainsi que Torzill, lui qui avait consacré toute son énergie de voyageur à tenter de représenter la prison volante qui l’emmenait à travers le vide, succomba à une deuxième attaque de paralysie. Belladore eut beau essayer de le maintenir en vie en multipliant les formules incantatoires et les séances d’imposition, l’ancien architecte rendit son dernier souffle après avoir puisé dans ses ultimes forces pour apposer, avec l’aide de ceux qui le veillaient, sa signature en bas de son œuvre. Après une brève oraison prononcée par le moncle Artien, on recouvrit son corps d’un drap et on le glissa par la trappe de l’un des grands broyeurs destinés à recueillir les déchets trop volumineux pour être éliminés par le système d’aspiration automatique. D’autres cadavres suivirent, ceux de nouveau-nés que les mères n’étaient plus en mesure d’allaiter, ceux de jeunes enfants terrassés par des fièvres malignes, ceux de femmes et d’hommes affaiblis par les privations.

La décennie relativement paisible qui avait suivi l’arrivée des femmes kroptes dans les quartiers deks n’avait engendré que des scènes de jalousie ou des querelles de voisinage vite résorbées. Une cinquantaine d’épouses ou de ventres-secs, se sachant stériles ou trop âgées pour enfanter, avaient décidé de rendre un peu plus supportable l’existence des quatre mille deks restés célibataires. Leurs cabines restaient ouvertes à toute heure pour recevoir les hommes en mal d’affection, pour les soulager de leurs misères morales et de leurs désirs physiques. Elles avaient ainsi réussi à désamorcer les tensions entre les minoritaires élus par une femme et la majorité des laissés-pour-compte. La population des quartiers, consciente de l’importance et de l’ingratitude de leur rôle, vouait un immense respect à cette poignée de femmes. Elles étaient devenues, davantage que de simples prostituées, des prêtresses de l’amour, des consolatrices, des puits de tendresse, des maîtresses et des mères universelles. Elles y avaient gagné un titre, les « mathelles », du nom de la sixième femme d’Eulan Kropt, Mathella, la vestale qui avait rompu ses vœux de chasteté pour donner un fils au prophète. Aucune décision ne se prenait sans qu’elles fussent au préalable consultées et leurs conseils faisaient souvent office de sentences. Pendant dix ans, elles étaient parvenues à préserver un fragile équilibre à nouveau menacé par les premières défaillances du vaisseau.

On entra dans une période de deuil. Les coursives résonnaient des cris des mères effondrées devant le corps de leur enfant, des gémissements des épouses ayant perdu leur mari, des lamentations rageuses des hommes pleurant une femme ou un ami. Et la faim, cette faim terrible qui creusait les ventres et ranimait les vieux démons, se répandit tel un venin dans les coursives et les cabines.

« Tu devrais monter dans les niveaux, dit Ellula. Nous n’avons rien mangé depuis trois jours. »

Abzalon reposa délicatement sa fille sur le plancher. Âgée de sept ans, Djema avait hérité de la beauté de sa mère et du caractère taciturne de son père. Elle ne s’exprimait que rarement et toujours pour prononcer des paroles déroutantes, énigmatiques, d’un ton étrangement grave. Indépendante, elle s’absentait parfois pendant des heures et revenait à l’appartement de la coursive basse sans daigner fournir d’explication, posant sur ses parents un regard franc, clair, qui les dissuadait de lui adresser le moindre reproche. Même si le sentiment d’inquiétude ne les quittait jamais, ils avaient fini par s’accoutumer à ses fréquentes disparitions. Laslo et Pœz, les deux fils de Lœllo, venaient de temps à autre l’inviter à leurs jeux, mais elle déclinait invariablement l’offre, préférant la solitude à la compagnie des autres enfants. Son comportement avait alarmé Ellula dans les premiers temps, puis elle s’était souvenue de sa propre enfance sur les bords du bouillant et elle avait compris que, de la même manière qu’elle-même avait couru des jours entiers dans la lande battue par le vent du large et les embruns, sa fille tentait de se ménager des espaces de liberté dans le cadre étouffant du vaisseau.

Перейти на страницу:

Все книги серии Abzalon

Похожие книги

Аччелерандо
Аччелерандо

Сингулярность. Эпоха постгуманизма. Искусственный интеллект превысил возможности человеческого разума. Люди фактически обрели бессмертие, но одновременно биотехнологический прогресс поставил их на грань вымирания. Наноботы копируют себя и развиваются по собственной воле, а контакт с внеземной жизнью неизбежен. Само понятие личности теперь получает совершенно новое значение. В таком мире пытаются выжить разные поколения одного семейного клана. Его основатель когда-то натолкнулся на странный сигнал из далекого космоса и тем самым перевернул всю историю Земли. Его потомки пытаются остановить уничтожение человеческой цивилизации. Ведь что-то разрушает планеты Солнечной системы. Сущность, которая находится за пределами нашего разума и не видит смысла в существовании биологической жизни, какую бы форму та ни приняла.

Чарлз Стросс

Научная Фантастика