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— Il n’en a pas tenu compte. C’est une grande chance pour toi, pour ton père, pour… moi. »

À cet instant, Prendan Lankvit, vêtu d’une chemise vert sombre, d’un chapeau de paille et d’un pantalon noir, sortit dans la cour, se saisit d’une corde et se dirigea d’un pas lourd vers le troupeau des yonaks. Le vent soulevait sa longue barbe grise, la plaquait sur son épaule. Les deux femmes aperçurent, sur la droite de la lande, un point blanc qui grossissait rapidement.

« Le char à vent, souffla Alva, soudain rembrunie. Habille-toi vite. »

Elle sortit de la pièce en courant. Ellula l’entendit ouvrir la porte de sa chambre, s’affaisser lourdement sur le lit et libérer enfin ses larmes.

* * *

Le char à vent filait à pleine vitesse entre les collines coiffées d’une herbe haute et d’arbustes épineux aux fleurs rouges. Le disque éblouissant d’Aloboam se faufilait entre les nuages qui se dispersaient au fur et à mesure que l’appareil s’enfonçait dans le cœur du continent méridional. Posé sur deux rangées de huit roues souples et mobiles, le char épousait sans douceur les inégalités du sol. Ses deux voiles principales se doublaient de focs qui lui permettaient de remonter au vent sans être obligé de tirer de larges bords. Debout sur la proue, le pilote donnait d’incessants coups de barre pour se maintenir au près et esquiver les gros rochers. Les membres de l’équipage couraient d’un côté sur l’autre, se suspendaient au bastingage pour compenser les déséquilibres engendrés par les brusques changements de cap. La bôme balayait le pont dans un sifflement menaçant, le bois des mâts, de la coque et des essieux émettait des grincements sinistres, les roues pourtant cerclées de gomme végétale soulevaient le même vacarme qu’un troupeau de yonaks au galop.

Ce n’était pas la première fois qu’Ellula voyageait à bord d’un char à vent, mais elle n’était jusqu’alors montée que dans de petits appareils chargés de transporter les fidèles des fermes isolées jusqu’au temple de l’Erm. Cette flotte, entretenue par le consistoire des eulans, utilisait la seule énergie de l’air, conformément aux préceptes du fondateur Eulan Kropt. Sans cesse balayé par les vents venus de l’océan bouillant, plat sur la majeure partie de sa superficie, peu boisé, le continent Sud se prêtait à merveille à ce mode de locomotion, même si les deux cycles d’hiver de Vox rendaient dangereuse la navigation en couvrant d’une épaisse couche de glace l’intérieur des terres. De même, on avait dû pratiquer des chemins de vent au travers du massif de l’Éraklon, une barrière rocheuse qui se dressait sur des centaines de kilomètres de largeur au centre du continent. Les travaux, effectués vingt siècles plus tôt, avaient profondément divisé la communauté kropte, les tenants de l’orthodoxie déclarant qu’il s’agissait d’une violation caractéristique des lois d’origine, les partisans du modernisme modéré rétorquant que le percement de l’Éraklon permettrait justement l’utilisation bénéfique, rationnelle, d’une énergie naturelle. Ces derniers avaient obtenu gain de cause, non sans une résistance acharnée de leurs opposants qui s’était traduite par une sécession, une guerre civile et la formation d’un deuxième consistoire. L’eulan Loxem, réputé pour sa clairvoyance, avait mis fin à ce conflit trois siècles plus tard en enfermant les membres des deux assemblées dans une pièce du temple de Madeïon et en refusant de leur servir le moindre repas jusqu’à ce qu’ils se fussent accordés sur une ligne de conduite commune. La soif et la faim ayant assoupli les caractères, les orthodoxes avaient accepté les chemins de vent comme des présents détournés de la nature, les modernistes avaient promis de faire preuve d’un peu plus de rigueur dans l’interprétation de la parole d’Eulan Kropt. La réconciliation avait été scellée au cours d’une grande fête commémorée tous les ans sous le nom officiel de « l’unité kropte » et sous le nom officieux des « ventres-creux ». Depuis, les orthodoxes avaient repris le contrôle du consistoire réunifié, veillant farouchement à éradiquer tout germe de déviation susceptible de contaminer les esprits et de déboucher sur de nouvelles transgressions de la loi.

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