Verna reprit conscience, souleva ses paupières taquinées par un rayon pâle de l’A et collées par le givre. La luminosité de la banquise l’aveugla. Elle s’étonna d’être toujours en vie. Elle perçut une présence, une chaleur, tourna la tête, aperçut un aro polaire allongé à son côté, un animal puissant, splendide, dont le poids avoisinait les cinq cents kilos. Il ne dormait pas, il la fixait de ses yeux jaunes et ronds, un regard insondable, attentif. Le givre agglutinait par endroits son poil blanc et soyeux. Elle se demanda combien de temps elle avait dormi. On entrait dans la période où les nuits s’allongeaient, dépassaient les trente heures. Elle se redressa lentement, raideur dans la nuque, dans la colonne vertébrale, observa les alentours, ne distingua pas les reliefs de la cité de glace sur l’étendue scintillante. Elle ne s’en inquiéta pas, un silence profond l’emplissait qu’aucune peur, aucun regret ne pouvait briser. Orgal et les autres étaient loin maintenant, quelque part dans l’infini de l’espace. Elle se leva, esquissa des mouvements pour assouplir ses membres engourdis, frémissement douloureux du sang qui circule à nouveau dans les veines. L’aro bâilla, dévoilant ses longs crocs, s’ébroua, sauta sur ses pattes. Elle lui flatta délicatement le museau. Elle était la prima désormais, et il ne lui restait que quatre mois pour achever l’œuvre de Mald Agauer. Un vent d’ouest dispersait les brumes matinales, les feux clairs et naissants de l’A enflammaient la plaine céleste traversée par un banc de nuages rutilants. Elle s’absorba pendant quelques minutes dans la contemplation du lever du jour sur la banquise, émerveillée par la beauté de son monde. L’aro s’agenouilla à ses pieds, attira son attention d’un petit coup de patte sur sa jambe. Elle comprit qu’il l’invitait à le chevaucher, remonta sa robe, s’installa à califourchon sur son échine, glissa les bras de chaque côté de son encolure. Il s’élança, au petit trot d’abord, accéléra progressivement l’allure, puis, lorsque sa cavalière fit corps avec lui, il fila au grand galop en direction du nord.
Il fallut un mois aux Kroptes pour charger dans
Le réseau de contrebandiers du Voxion avait livré le voleur de temps à la date fixée. Ils avaient acheminé les différentes pièces par autogliz et s’en étaient repartis avec un milliard d’estes, soit le double de ce qu’ils avaient réclamé au départ. Verna s’était acquittée sans sourciller de ce supplément. Le trésor de l’arche, vestiges de la fortune personnelle de Mald, était maintenant à sec, mais cela n’avait plus aucune espèce d’importance. Sigmon et ses hommes avaient travaillé d’arrache-pied pour adapter le voleur de temps, plus petit que prévu, au propulseur central du vaisseau. Après avoir procédé à des essais qui s’étaient avérés concluants, ils avaient fixé la date du départ et commencé à dégager le toit du hangar. L’eau de la cuve où séjourneraient les Qvals serait réchauffée et maintenue à température constante par les moteurs, eux-mêmes alimentés par un générateur d’énergie magnétic. On avait abandonné la propulsion nucléaire, trop gourmande et mal adaptée à la structure réduite de
« Je désespérais de voir ce jour arriver, dit Bren Chori, le patriarche kropte.
— Attendons le décollage pour nous réjouir, murmura Verna.
— Il n’y a plus aucune raison d’être pessimiste, prima. Le Moncle n’a pas bougé le petit doigt. »