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Tandis que l’assistance refluait lentement vers les appartements, frustrée par l’inexplicable clémence de la sentence, Ellula discerna un immense soulagement sur les traits de Kephta, une joie mauvaise sur le visage de Rijna, des regrets dans les rides d’Isban Peskeur.

* * *

Les ventres-secs étaient exactement cent sept avant l’arrivée d’Ellula. Réparties au moment de l’embarquement dans des cabines des différents domaines, elles avaient ensuite été regroupées, sur l’ordre des eulans, au niveau 20, le plus haut et le moins étendu. Traversé par une seule coursive, il ne comprenait qu’une quinzaine de cabines de deux pièces. Elles vivaient par groupes de trois ou quatre dans des chambres de six mètres carrés, une exiguïté qui obligeait certaines d’entre elles à dormir à même le plancher.

Les plus jeunes avaient une vingtaine d’années, les plus anciennes atteignaient la soixantaine. La doyenne, Samya, une femme de quatre-vingt-deux ans, avait vieilli d’une tout autre manière que les épouses des patriarches. Si ses cheveux avaient blanchi, aucune ride ne creusait son visage et son corps avait gardé une sveltesse d’adolescente. Elle paraissait dégager la même sécheresse que sa peau parcheminée, la même tristesse que ses sempiternelles robes et coiffes noires, mais sa voix, son sourire, sa chaleur corrigeaient cette première impression. Elle était devenue, et pas seulement en vertu de l’ancienneté, l’interlocutrice privilégiée de ces femmes bannies de la communauté pour le seul motif qu’elles n’avaient pas réussi à se marier avant leurs dix-huit ans. Elle les représentait devant les eulans et les patriarches, arbitrait leurs conflits, leur servait à la fois de mère, de confidente et d’autorité morale. Ce fut donc elle qui accueillit Ellula, escortée au niveau 20 par une délégation de dix hommes. Surprise par la jeunesse de la proscrite, Samya s’enquit de la nature de sa faute auprès des membres de l’escorte et hocha la tête d’un air grave pendant que l’un d’eux lui expliquait les raisons de sa condamnation. Lorsqu’ils s’en furent repartis, elle souhaita la bienvenue à la nouvelle arrivante.

« Je devine à ton expression que tu dénies leur version des faits…

— Quelle importance ? répondit Ellula. Ils n’ont pas souhaité m’entendre. »

Le regard de Samya tomba sur la robe déchirée d’Ellula, sur les égratignures de son cou et de ses bras.

« Pour les Kroptes, les femmes sont nées fautives, souillées par l’egon, murmura la doyenne. Viens, nous allons d’abord te soigner. Nos appartements ne sont pas grands mais nous te trouverons bien un coin où t’installer.

— Est-ce que vous savez qu’ils ont l’intention de condamner les coursives et les escaliers donnant sur les autres niveaux ?

— Cette idée ne vient pas des patriarches mais des épouses elles-mêmes, acquiesça Samya. Elles ne sont pas si confiantes que ça dans la vertu de leurs maris. Sur Ester, on a souvent surpris dans les granges ces chers patriarches avec les ventres-secs qu’ils hébergeaient. »

Ellula se souvint que les mendiantes de passage à la ferme de Prendan Lankvit n’étaient pas toutes des laiderons, loin de là, et que son père aurait très bien pu leur rendre visite dans l’étable des yonaks. Elle n’avait jamais envisagé l’existence des ventres-secs sous cet angle-là mais, après tout, ces femmes affamées d’amour, de reconnaissance, s’étaient peut-être ouvertes au désir des hommes comme les aloboames aux premiers rayons de l’A.

« Je pensais que l’exode changerait quelque chose à nos vies, que nous serions traitées comme des femmes à part entière, poursuivit Samya. Je me trompais. Pour moi, ce n’est pas grave : je ne suis qu’un arbre mort ; mais certaines d’entre nous peuvent encore donner des fruits. »

Elle conduisit Ellula dans un appartement occupé par six femmes. Elle relata brièvement les circonstances qui avaient valu la condamnation de la nouvelle bien qu’elle n’eût pas atteint l’âge fatidique de dix-huit ans. Elle insista sur la robe déchirée et les plaies, laissant entendre que les eulans et les patriarches avaient établi un délit d’adultère là où il n’y avait rien d’autre qu’une tentative de viol.

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