Après avoir participé à des règlements de comptes entre bandes rivales avec, pour tout salaire, quelques rations supplémentaires de soupe claire et de la viande crue de rondat, un petit rongeur qui proliférait dans les soubassements du pénitencier et dont la chasse était devenue l’activité principale des deks, il avait été agressé par Lœllo, un garçon famélique de dix-sept ans qu’il avait assommé d’une simple chiquenaude mais qu’il n’avait pas tué, contrairement à ses autres adversaires, peut-être parce qu’il avait été ému par la douceur enfantine de son visage. Les deux hommes étaient devenus inséparables. Ils ne formaient pas un véritable couple mais ils le laissaient croire, pour éviter à Lœllo d’être importuné par les détenus attirés par la finesse de ses traits et la douceur de sa peau. Abzalon, lui, ne s’était jamais éveillé au désir sexuel, ni à l’extérieur ni à l’intérieur de Dœq. Un jour, il était allé voir une prostituée de Vrana pour essayer de comprendre les raisons qui poussaient les êtres humains à rechercher avec une telle ardeur l’union répugnante des corps. La fille avait fait la grimace lorsqu’il s’était approché d’elle, mais, en professionnelle consciencieuse, elle avait empoché les vingt estes requis et surmonté son dégoût pour le conduire dans une chambre et s’occuper de lui. Ses caresses manuelles et buccales ne lui avaient provoqué qu’une douleur sourde au bas-ventre, à laquelle il avait mis fin en la soulevant à bout de bras et en la défenestrant. Elle avait traversé le toit d’une maison une cinquantaine de mètres plus bas. Les femmes lui apparaissaient comme des êtres vénéneux dont il fallait débarrasser la surface de la planète, et les hommes comme des ennemis ou des alliés, en aucun cas des objets de plaisir. De temps à autre, un détenu venait lui proposer d’échanger quelque chose, un repas du soir, une arme, un rondat, contre quelques minutes en tête à tête avec Lœllo. Il ne discutait pas, il brisait les vertèbres cervicales du solliciteur d’un coup de patte aussi puissant que précis. Lœllo, qui avait servi de giton à plusieurs chefs de bandes et avait été violé à maintes reprises, appréciait d’être ainsi placé sous la protection d’un homme qui ne quémandait en échange qu’un peu d’amitié.
« Ils sont sept… »
Bien que personne n’eût encore fait son apparition dans la courette, il ne vint pas à l’idée d’Abzalon de contester l’affirmation de Lœllo. Celui-ci avait une perception plus aiguisée que la moyenne, une sorte d’antenne invisible qui lui permettait à la fois de prévoir les événements quelques minutes avant qu’ils ne se produisent et de déceler une présence à travers les murs ou à plusieurs dizaines de mètres de distance. Ce don n’avait selon lui rien à voir avec les capteurs ultrasensibles que les élites estériennes se faisaient greffer dans le cerveau afin de converser en mode téléoral ou télémental, c’était une caractéristique familiale, un héritage génétique, un présent de l’Omni. Il était originaire de X-art, le siège de la Fraternité omnique, une cité du bord de l’océan bouillant où affluaient chaque année des millions de pèlerins et des milliers de touristes attirés par les dangers de la pêche au sarquens, un poisson gigantesque qui tentait de renverser les frêles embarcations et de précipiter leurs occupants dans une eau à plus de quatre-vingt-dix degrés.