Mon Seigneur, je vous suis profondément reconnaissante de votre bonté. Savoir que Tatien demande mon humble concours me réconforte, néanmoins, je me sens incapable de réaliser ce voyage... Il est arrivé quelque chose à mes yeux... Depuis quelques heures, j'ai remarqué que j'ai perdu la vue... J'entends votre voix, mais je ne vous vois pas. Des douleurs presque insupportables me martyrisent la tête. Je suis inutile... En quoi pourrais-je être une aide à nos amis qui m'attendent ? Ne vaudrait-il pas mieux rester ici même et accepter résignée les circonstances ? Tatien a écrit en demandant que mon père me conduise. Mon père est mort désormais... Quant à moi, je suis impotente et seule, que pourrais-je faire ? Je serais pour lui un lourd fardeau pour un voyage aussi long... Ne vaudrait-il pas mieux que vous vous désintéressiez de moi?!...
Absolument pas ! — a ajouté l'interlocuteur avec une hypocrisie évidente —je ne peux vous abandonner en aucune façon. Pour les maladies, nous avons toujours de bons médecins. Votre santé recevra les soins nécessaires. La maladie, loin d'être un obstacle, est une bonne raison de plus pour ceux qui sont nos vrais amis de montrer leur dévouement. En outre.
Et il baissa la voix comme s'il voulait éveiller de la peur chez sa compagne :
Le légat est insensé. D'après ce que je sais, la ville entière n'ignore pas qu'il t'a séparée des jeunes nazaréennes, te faisant bénéficier d'un régime de privilèges. Sinésia m'a informé des dures épreuves que tu as supportées dans ta chambre de détention. Maintenant que ton père n'est plus, je considère qu'il est de mon devoir de t'apporter mon aide. Si ton sacrifice représentait une compensation à ton idéal, je comprendrais ce geste téméraire à vouloir rester, mais continuer dans Lyon pour satisfaire à la bestialité d'un homme, serait à mon avis pure foie...
L'argument réussit à la convaincre. La jeune femme n'a plus hésité.
Elle a accepté son bras et ils se sont réfugiés dans une simple auberge de faubourg d'où ils sont partis vers un nouveau destin, à l'aube.
À Vienne, Teodul demanda la collaboration d'un médecin qui prescrit des remèdes compliqués aux blessures oculaires.
Des jours amers se sont écoulés pour Livia, découragée...
À son tour, Teodul, remarquant son abattement physique, se rappelait les suggestions d'Hélène qui lui avait demandé de faciliter la mort de la jeune femme en lui donnant un plat commodément préparé ou en la plongeant dans les eaux... La miséricorde, néanmoins, a pénétré son esprit.
La résignation avec laquelle Livia accueillait son malheur l'émouvait au fond.
Il prétendait se défaire d'elle comme quelqu'un se débarrasse d'un fardeau, néanmoins, l'idée de l'assassiner lui répugnait maintenant.
Dans le port de Massilia, ils ont trouvé le seul bateau susceptible de les conduire à l'étranger, une belle galère romaine qui partait pour Syracuse profitant des vents favorables.
Le représentant d'Hélène n'a pas hésité.
Après avoir analysé le temps dont il disposait, il a informé la jeune fille que d'après les nouvelles reçues, Tatien était en Sicile à les attendre de sorte que tous deux partir en mer.
Patiente avec sa cécité qui la martyrisait mais sans perdre l'espoir de guérir, la malade ne trouva pas d'attrait à ce voyage. Renfermée sur elle-même, se limitant à parler à Teodul quand l'administrateur de Veturius la questionnait, elle n'avait qu'une seule pensée — se rapprocher de ses amis et se reposer.
Donc par un magnifique matin, en pleine lumière, quand son compagnon d'excursion lui annonça leur arrivée à Drepanon19
, où il avait établi le supposé lieu de permanence du fils de Varrus, son cœur s'est transporté, pris de joie.Ils ont débarqué apparemment tranquilles.
Teodul, qui semblait connaître la localité, l'a enflammée d'espoir. Certainement, disait- il en feignant, que dans quelques instants elle étreindrait la petite Blandine se rappelant les jours heureux à la villa. Sans aucun doute Tatien lui fournirait le traitement adéquat afin de lui rendre la vue et, dans peu de temps, elle serait complètement guérie, satisfaite et heureuse.
La jeune femme marchant à son bras souriait, enchantée...
Oui, quels autres amis lui restait-il en ce monde ?
Le bourg, plein de vignobles et caressé par la douce brise qui soufflait de la mer, respirait la paix festive et embaumée de la nature.
Ici et là, des voix argentines croisaient l'air.
Des vendeurs de fruits et de légumes annonçaient des produits sur la place. Des rires déjeunes gens et des cris d'enfants atteignaient les oreilles de l'aveugle qui aurait tout donné pour plonger ses yeux dans le paysage ambiant qu'elle imaginait charmant.
Aujourd'hui Trapani. - (Note de l'auteur spirituel)
Dans l'un des coins les plus agités de la ville sous le porche d'un petit temple consacré à Minerve, avec une voix tranquillisante, Teodul l'a aidée à s'asseoir sur un petit banc en pierre et lui a demandé de l'attendre pendant quelques minutes.