Après quelques pas, le trio a pénétré dans une simple maison dont la pièce la plus grande était une salle étroite et peu confortable. Là à la clarté de deux torches, un vieux fixait un précieux luth.
Divers instruments musicaux y étaient entassés révélant la profession du propriétaire de la maison.
Un peu gênée, la jeune fille a présenté les arrivants, en expliquant :
Papa, ce sont deux voyageurs du fleuve. Ils ont écouté la chanson aux étoiles et se sont intéressés à son auteur.
Oh ! Comme c'est généreux ! — et tout en montrant un large sourire le vieil homme a ajouté : — qu'ils entrent ! La maison est minuscule mais c'est la vôtre.
Un entretien amical s'est engagé.
L'ancien, qui approchait des soixante-dix ans, portait dans ses yeux une rayonnante vigueur juvénile qui se manifestait dans les paroles qu'il prononçait.
Sans affectation, il s'est présenté.
Il s'appelait Basil, né à Rome, il était fils d'esclaves grecs. Bien qu'endetté vis-à-vis de son ancien maître, Jubellius Carpus qui l'avait émancipé, il continuait libre et agissait pour son propre compte.
Carpus était un noble romain qui avait presque son âge. Pendant leur enfance, ils avaient grandi ensemble et s'étaient tous deux mariés presque en même temps.
Cécilia Priscilienne, la femme du maître, était tombée malade de la peste et après la naissance de son second fils, Junia Glaura, sa femme, une esclave et une amie de la famille de Carpus, s'était tellement dévouée à la matrone qu'elle avait réussi à sauver la vie de sa maîtresse, mais elle l'avait payé de la sienne en contractant la dangereuse maladie. Junia malgré elle le contraignait ainsi au veuvage, lui laissant une petite fille du nom de Livia qui survécut peu de temps.
Compatissant de sa malchance, ses employeurs l'ont émancipé, moyennant qu'il leur paie un jour, les lourdes dettes qu'il avait contractées pour sauver sa famille.
Néanmoins, il n'avait pas pu continuer à Rome où tant de souvenirs pénibles lui martyrisaient l'esprit.
Dépité, il s'est retiré sur l'île de Chypre où il a passé plusieurs années plongé dans des études philosophiques, cherchant à se fuir.
Là-bas, il reçut comme cadeau des dieux — souligna-t-il en souriant — sa nouvelle fille à qui il donna le même prénom que la première.
Livia était apparue juste au moment où il se sentait le plus seul et le plus malheureux des hommes.
Désespéré face aux obstacles constants qu'il rencontrait, sans jamais trouver les moyens de se débarrasser des engagements économiques qui le rattachaient à la maison de son maître, il était prêt à attendre la mort quand le ciel lui a envoyé sa nouvelle petite fille sur une route miraculeuse, faisant renaître ainsi tous ses espoirs.
Dès lors, il fut à nouveau pris de courage pour lutter.
Il a retrouvé l'énergie de travailler et repris les activités routinières d'un homme avec des problèmes quotidiens à résoudre.
En restaurant des instruments musicaux, en tant qu'accordeur, il s'est vite rendu compte que sur l'île ses revenus ne répondaient pas aux nouvelles charges, ils sont donc partis pour Massilia où il a trouvé beaucoup de travail répondant à ses besoins pour éduquer sa fille.
De nombreux déboires, cependant, l'ont obligé à déménager et il a choisi Lyon comme nouveau champ d'action.
Il fut surpris par la grande quantité de harpes, de luths et des cithares nécessitant d'être réparés et satisfait des nouvelles perspectives d'amélioration économique, il était dans cette ville depuis six mois, réorganisant sa vie. Basil parlait avec assurance et douceur mais on remarquait dans sa voix quelque chose de douloureux qui n'arrivait pas à s'extérioriser. Des plaies invisibles de souffrance transparaissaient des mots prononcés avec une aimable compréhension, mais touché d'une pointe d'amertume.
Le patricien enthousiaste et réjoui l'a encouragé, lui laissant entendre que de nouveaux horizons allaient s'offrir à lui.
Il avait beaucoup d'amis et il lui obtiendrait des services rentables.
Pour égayer l'ambiance qui s'était un peu trop assombrie vu les sujets inquiétants de la vie quotidienne abordés, Livia a répondu à la demande paternelle en exécutant quelques morceaux à la harpe que Tatien et Blandine ont écoutés, enchantés.
La petite fascinée était silencieuse et calme et le fils de Varrus Quint, comme transporté en d'autres temps, errait mentalement dans de multiples réminiscences, contenant mal le flot d'émotion qui lui montait aux yeux. Il a fouillé dans le passé, essayant de se souvenir où, quand et comment il avait rencontré le vieil homme et la jeune fille, lui qui le regardait plein de bonté et elle qui chantait avec cette voix mélangée de joie et de douleur, mais ce fut en vain... Il gardait l'impression de les connaître et de les aimer, mais sa mémoire se niait à les identifier dans le temps.
Livia s'est tue, mais le visiteur restait absorbé, à penser, à penser...
Ce fut Blandine qui interrompit les réflexions en demandant affectueusement :
— Papa, vous ne croyez pas que Livia pourrait être mon professeur ?