Quelques auteurs ont assur'e que Peau-d’^Ane, au moment que ce prince avait mis l’oeil `a la serrure, les siens l’avaient apercu : et puis, que regardant par sa petite fen^etre, elle avait vu ce prince si jeune, si beau et si bien fait, que l’id'ee lui en 'etait rest'ee, et que souvent ce souvenir lui avait co^ut'e quelques soupirs. Quoi qu’il en soit, Peau-d’^Ane l’ayant vu, ou en ayant beaucoup entendu parler avec 'eloge, ravie de pouvoir trouver un moyen d’^etre connue, s’enferma dans sa chambre, jeta sa vilaine peau, se d'ecrassa le visage et les mains, se coiffa de ses blonds cheveux, mit un beau corset d’argent brillant, un jupon pareil, et se mit `a faire le g^ateau tant d'esir'e : elle prit de la plus pure farine, des oeufs et du beurre bien frais. En travaillant, soit de dessein ou autrement, une bague qu’elle avait au doigt tomba dans la p^ate, s’y m^ela ; et d`es que le g^ateau fut cuit, s’affublant de son horrible peau, elle donna le g^ateau `a l’officier, `a qui elle demanda des nouvelles du prince ; mais cet homme, ne daignant pas lui r'epondre, courut chez le prince lui porter ce g^ateau.
Le prince le prit avidement des mains de cet homme, et le mangea avec une telle vivacit'e, que les m'edecins, qui 'etaient pr'esents, ne manqu`erent pas de dire que cette fureur n’'etait pas un bon signe : effectivement, le prince pensa s’'etrangler par la bague qu’il trouva dans un des morceaux du g^ateau ; mais il la tira adroitement de sa bouche : et son ardeur `a d'evorer ce g^ateau se ralentit, en examinant cette fine 'emeraude, mont'ee sur un jonc d’or, dont le cercle 'etait si 'etroit, qu’il jugea ne pouvoir servir qu’au plus joli doigt du monde.
12. Lisez ce passage et dites si vous savez d'ej`a comment gu'erira le prince. Faites le devoir !
Il baisa mille fois cette bague, la mit sous son chevet, et l’en tirait `a tout moment, quand il croyait n’^etre vu de personne. Le tourment qu’il se donna, pour imaginer comment il pourrait voir celle `a qui cette bague pouvait aller ; et n’osant croire, s’il demandait Peau-d’^Ane, qui avait fait ce g^ateau qu’il avait demand'e, qu’on lui accord^at de la faire venir, n’osant non plus dire ce qu’il avait vu par le trou de la serrure, de crainte qu’on se moqu^at de lui, et qu’on le pr^it pour un visionnaire, toutes ces id'ees le tourmentant `a la fois, la fi`evre le reprit fortement ; et les m'edecins, ne sachant plus que faire, d'eclar`erent `a la reine que le prince 'etait malade d’amour.
La reine accourut chez son fils, avec le roi, qui se d'esolait : « Mon fils, mon cher fils, s’'ecria le monarque afflig'e, nomme-nous celle que tu veux ; nous jurons que nous te la donnerons, f^ut-elle la plus vile des esclaves. » La reine, en l’embrassant, lui confirma le serment du roi. Le prince, attendri par les larmes et les caresses des auteurs de ses jours : « Mon p`ere et ma m`ere, leur dit-il, je n’ai point dessein de faire une alliance qui vous d'eplaise ; et pour preuve de cette v'erit'e, dit-il en tirant l’'emeraude de dessous son chevet, c’est que j’'epouserai la personne `a qui cette bague ira, telle qu’elle soit ; et il n’y a pas apparence que celle qui aura ce joli doigt soit une rustaude ou une paysanne. »
Le roi et la reine prirent la bague, l’examin`erent curieusement, et jug`erent, ainsi que le prince, que cette bague ne pouvait aller qu’`a quelque fille de bonne maison. Alors le roi ayant embrass'e son fils, en le conjurant de gu'erir, sortit, fit sonner les tambours, les fifres et les trompettes par toute la ville, et crier par ses h'erauts que l’on n’avait qu’`a venir au palais essayer une bague, et que celle `a qui elle irait juste 'epouserait l’h'eritier du tr^one.
13. Intitulez ce fragment et faites le devoir !
Les princesses d’abord arriv`erent, puis les duchesses, les marquises et les baronnes ; mais elles eurent beau toutes s’amenuiser les doigts, aucune ne put mettre la bague. Il en fallut venir aux grisettes, qui, toutes jolies qu’elles 'etaient, avaient toutes les doigts trop gros. Le prince, qui se portait mieux, faisait lui-m^eme l’essai. Enfin, on en vint aux filles de chambre ; elles ne r'eussirent pas mieux. Il n’y avait plus personne qui n’e^ut essay'e cette bague sans succ`es, lorsque le prince demanda les cuisini`eres, les marmitonnes, les gardeuses de moutons : on amena tout cela ; mais leurs gros doigts rouges et courts ne purent seulement aller par-del`a l’ongle.
« A-t-on fait venir cette Peau-d’^Ane, qui m’a fait un g^ateau ces jours derniers ? » dit le prince. Chacun se prit `a rire, et lui dit que non, tant elle 'etait sale et crasseuse. « Qu’on l’aille chercher tout `a l’heure, dit le roi ; il ne sera pas dit que j’aie except'e quelqu’un. » On courut, en riant et se moquant, chercher la dindonni`ere.
14. Intitulez ce fragment et faites le devoir !