J'ai enfin fait la connaissance de Madame la comtesse de Lerchenfeld, qui est telle que je vous l'ai dépeinte dans mes dernières lettres, il n'y a pas un mot à y changer; mais lui est délicieux, vous ne pouvez vous figurer cet homme dans son intérieur, et pour le moins aussi ennuyeux que par le passé et beaucoup plus avare. Car voilà un de ses derniers traits: ayant l'intention de faire voir Peterhoff à sa femme, il engage Coutousoff et le remplaçant de feu votre ami Dekenfeld à l'accompagner, et propose en même temps une espèce de pique-nique, disant que si on les voyait arriver ainsi, on leur faira payer un argent fou pour un fort mauvais dîner. Il charge Coutousoff du Lafitte (2 bouteilles) et de deux bouteilles de champagne, ce qui était une affaire de 50 roubles; quant à lui il devait se charger du reste. Eh bien, il a été assez crasseux pour n'apporter le lendemain qu'un vieux morceau de bœuf que l'on avait servi la veille à table, du pain, et de la moutarde. Ces deux autres messieurs ont été tellement honteux pour lui qu'à leur propres frais ils ont commandé un dîner à l'auberge que monsieur le comte Lerchenfeld, ministre du Roi de Bavière, a mangé sans leur demander d'où ils l'avaient pris; enfin c'est dégoûtant à dire. Pour ce qui en est de ses fonctions de mari, je suis persuadé qu'il les remplit fort mal, et c'est lui-même qui a eu l'esprit de me mettre dans cette confidence; dernièrement en me parlant des plaisirs de sa bonne ville de Munich et les comparant à ceux de Pétersbourg il m'a dit: "Voyez mon cher, les plaisirs chez moi sont rares, mais par contre ils sont bons. Ce n'est pas comme ici où ils se succèdent tellement qu'il est impossible d'en jouir car il en est de ceci comme d'un homme marié, quelque jeune et quelque jolie que soit sa femme, il est impossible de se décharger toujours", et cette idée lui a tellement souri qu'il l'a répétée au moins dix fois de suite; j'espère que la confidence est naïve.
Voilà pour ma famille diplomatique. Il faut aussi que je vous parle d'une seconde, c'est celle des Luttzerode, qui certainement a remplacé les Soutzo en tout, et pour tout; grande famille; mari tellement bavard qu'il en est ennuyeux; quant à la manie des visites, je crois qu'ils seront encore plus puissants que les Soutzo; mais aussi ils ont eu dernièrement une mésaventure qui a fait les délices de toute la société. Je ne sais pourquoi ils se sont mis en tête que l'individu qui remplace le comte de Nesselrode était marié