La noce de notre ami Marchinko s'est terminée hier et a été célébrée à l'église de Malte. Sa femme est catholique. Il y avait foule pour voir la cérémonie; quant au marié, il a joué de malheur car au moment le plus pathétique de l'exorde du prêtre il a eu le talent d'exciter un rire général. Je ne sais si vous ignorez la formule du mariage, mais ordinairement le prêtre dit d'avance mot pour mot ce que vous devez dire vous-même, et il commence par votre nom de baptême, et malheureusement Marchinko s'appelle Jean. Vous allez voir le quiproquo que cela lui fit faire; quand le prêtre eut dit: "moi Jean", l'épouseur, sans lui donner le temps de le reprendre continue avec un timbre de voix et une fermeté à désoler tous ses amis: "moi, gentilhomme de la chambre de Sa M[ajesté] E[mpereur] de toutes les Russies et Roi de Pologne, je promets…" Enfin, le prêtre eut toutes les peines du monde à l'arrêter et à lui expliquer qu'il se trompait et que ce n'était pas de ses titres et grades que l'on voulait, mais tout simplement de son nom de baptême, et il le fit recommencer. Vous pouvez penser s'il en a été question en ville le soir même dans tous les salons, et les mauvaises langues prétendaient que c'était une grande délicatesse de sa part de se montrer dès le premier jour à sa femme tel qu'elle devait le conserver toujours; c'est-à-dire, bête et vain. Il n'y eut que la bonne Elisa (qui parle du nez plus que jamais) qui prit sa défense et qui déclara qu'un homme qui avait le coeur aussi sensible que Marchinko et aussi susceptible de fortes impressions devait naturellement perdre la tête en pareille occasion; quant à elle, qui ne perd jamais la sienne, elle revient d'un pèlerinage chez le Saint que l'Empereur a fait l'année dernière. Vous voyez qu'elle n'oublie jamais rien pour conserver les bonnes grâces de son Souverain et vraiment quand on suit cette femme et que l'on voit qu'elle ne peut faire une action sans qu'il y eut un but d'ambition et d'intrigue cela devient révoltant.
Le pauvre diable de Platonoff est dans un état depuis trois semaines qui fait de la peine, il est tellement amoureux de la petite princesse B. qu'il s'est renfermé chez lui, qu'il ne veut voir personne, pas même ses parents. Car il refuse sa porte à son frère et à sa sœur. Il prétexte une grande maladie: cette conduite m'étonne pour un garçon d'esprit, car il est amoureux comme on nous représente les héros des romans. Ceux-ci je les comprends parfaitement puisque il faut bien inventer quelque chose pour remplir les pages; mais pour un homme qui a du bon sens, c'est de la dernière extravagance; j'espère qu'il mettra bientôt un terme à ses folies et qu'il nous sera rendu, car moi il me manque beaucoup.
Vous voyez au reste, mon cher, [que] quoi qu'au nord le sang y est excessivement chaud et que celui qui y arrive déjà dans cet état ne perd rien dans ce climat; vous allez en juger par le trait suivant. Le beau Paul vient d'obtenir un congé de 28 jours pour aller à la recherche de celui qui lui a enlevé le cœur de l'Istomina, pour se couper la gorge avec lui; c'est au moins ce qu'il dit. Il se trouve que ce n'est pas votre ami intime, La Ferrière, qui a été le séducteur comme je vous l'avais annoncé dans mon avant-dernière [lettre], mais c'est bien lui qui a reçu les soufflets qu'a distribués Paul; parce que il se trouve que l'infidélité a été consommée chez La Ferrière par un des amis de ce dernier qui venait d'arriver de Paris; mais en voilà bien d'une autre, après cette aventure, La Ferrière a refusé de jouer dans La courte de paille à moins que Gidienoff [n'] obtienne une lettre de Paul comme quoi il ne lui avait pas donné de soufflets; vous pensez bien quand un supérieur supplie, il obtient facilement, aussi Paul a-t-il publié et imprimé la lettre la plus bête qu'il est possible d'écrire et qui a été distribuée à domicile avec les affiches; je suis au désespoir d'avoir perdu celle que j'avais, je vous en aurais copié les passages les plus spirituels pour vous donner une idée des autres.
[il manque 1 ou plusieurs pages]
J'oubliais de vous demander comment il fallait faire avec le médecin qui est venu chez moi si souvent, si je dois le payer ou non et ce qu'il faut lui donner. Beaucoup, c'est impossible car la pharmacie m'a coûté beaucoup pendant ma maladie.
Cergé que j'ai rencontré aujourd'hui avec Linsky m'ont chargé de vous dire mille choses de leur part et Cergé m'a aussi prié de vous rappeler qu'il vous avait invité à dîner au Rocher de Cancale pour le mois de février.
[без даты]
[начало отсутствует]