Et si les voilà prostituées, tu ne puiseras plus en elles que le pouvoir d'y oublier l'amour, alors que la seule action que je sauve est celle qui enrichit pour l'action prochaine, comme de te pousser à vaincre, dans ton ascension, la montagne, ce qui te prépare à vaincre l'autre qui est plus haute, comme de te proposer, afin de fonder ton amour, de gravir l'âme inaccessible.
XCV
Le diamant est fruit de la sueur d'un peuple mais un peuple ainsi ayant sué, un diamant est devenu qui n'est point consommable ni divisible, et ne sert point chacun des travailleurs. Dois-je renoncer à la capture du diamant qui est étoile réveillée de la terre? Du quartier de mes ciseleurs si j'extirpe les ciseleurs qui cisèlent des aiguières en or, lesquelles ne sont point non plus divisibles puisque chacune coûte une vie et que tandis que celui-là la cisèle il faut bien que je le nourrisse d'un froment cultivé ailleurs — et que, si je l'envoie à son tour labourer la terre il ne sera plus d'aiguière d'or mais une charge plus lourde de froment à distribuer — vas-tu me prétendre qu'il soit de la noblesse de l'homme de ne pas extraire le diamant et de ne plus ciseler l'objet d'or? Où vois-tu que l'homme en soit enrichi? Que m'importe le destin du diamant? J'accepterai à la rigueur, pour plaire à la jalousie de la multitude, de brûler une fois l'an tous ceux que j'aurai récoltés, car ainsi ils bénéficieront d'un jour de fête, ou encore d'inventer une reine que je chargerai de leur éclat et ainsi ils posséderont une reine endiamantée. Et ainsi l'éclat de la reine ou la chaleur de la fête, en retour se répandra sur eux. Mais où vois-tu qu'ils soient plus riches de les enfermer dans leur musée, ces diamants, qui là non plus ne serviront de rien dans l'instant à personne, sauf à quelques oisifs stupides, et n'ennobliront qu'un gardien grossier et lourd?
Car il te faudra bien admettre que seul vaut ce qui a coûté du temps aux hommes, comme du temple. Et que la gloire de mon empire, dont chacun recevra sa part, ne découle que du diamant que je les contrains d'extraire et de la reine que j'en aurai ornée.
Car je ne connais qu'une liberté qui est exercice de l'âme. Et non l'autre qui n'est que risible, car te voilà contraint quand même de chercher la porte pour franchir les murs et tu n'es point libre d'être jeune ni d'user du soleil la nuit. Si je t'oblige de choisir cette porte plutôt que l'autre, tu te plaindras de ma brimade, quand tu n'as point vu, s'il n'est qu'une porte, que tu subissais la même contrainte. Et si je te refuse le droit d'épouser celle-là qui te semble belle, tu te plaindras de ma tyrannie, quand tu n'as point remarqué, faute d'en avoir connu une autre, que dans ton village toutes étaient bigles.
Mais celle-là que tu épouseras, comme je l'ai contraint de devenir et qu'à toi aussi j'ai forgé une âme, vous userez tous deux de la seule liberté qui ait un sens et qui est exercice de l'esprit.
Car la licence t'efface et selon les paroles de mon père: «Ce n'est point être libre que de n'être pas.»
XCVI
Car je te parlerai un jour de la nécessité ou de l'absolu qui est nœud divin qui noue les choses.
Car impossible il est de jouer dans le pathétique au jeu de dés si les dés ne signifient rien. Et celui-là que j'envoie par ordre sur la mer, si elle se montre orageuse et qu'avant de s'y embarquer il en prend connaissance par un vaste regard, et que les nuages lourds il les pèse comme adversaires, et que cette houle il la mesure, et que ce fléchissement du vent il le respire, toutes ces choses pour lui retentiront les unes sur les autres et, de par la nécessité qui est mon ordre, à quoi il n'y a rien à répondre, il ne sera plus pour lui spectacle disparate de foire mais basilique construite et moi comme clef de voûte pour établir sa permanence. Ainsi celui-là sera-t-il magnifique quand il entrera, déléguant à son tour ses ordres dans le cérémonial du navire.
Mais tel autre, hors de moi, s'il prétend visiter la mer en promeneur et qu'il y peut errer comme il le souhaite et se résoudre selon sa propre pente au demi-tour, il n'a point accès à la basilique et ces nuages lourds ne lui sont point épreuve mais guère plus importants que d'une toile peinte, et ce vent qui fraîchit n'est point transformation du monde mais faible caresse sur la chair, et cette houle qui se creuse n'est que fatigue pour son ventre.
Et c'est pourquoi ce que j'appellerai devoir, qui est nœud divin qui noue les choses, ne te construira ton empire, ton temple, ou ton domaine que s'il se montre à toi comme absolue nécessité et non comme jeu dont les règles seraient changeantes.
«Tu reconnaîtras un devoir, disait mon père, à ce que d'abord il n'est point de toi de le choisir.»