Et toi je te construis et je t'élève. Et je te montre dans la pierre ce qui n'est point de la pierre, mais mouvement du cœur du sculpteur et majesté du guerrier mort. Et tu es riche de ce qu'existé quelque part le guerrier de pierre. Et des moutons, des chèvres, des demeures et des montagnes, je bâtis pour toi, t'ayant élevé encore, un domaine. Et si rien du domaine ne te sert dans l'instant t'en voilà cependant rempli. Je prends les mots vulgaires et, les nouant dans le poème, je t'en enrichis. Je prends des fleuves et des montagnes et les nouant dans mon empire je t'en exalte. Et, les jours de victoire, les cancéreux sur leurs grabats, les prisonniers dans leurs prisons, les perdus de dettes parmi leurs huissiers, les voilà rayonnant d'orgueil car il n'est point de mur ni d'hôpital ni de prison qui t'empêchent de recevoir car j'ai tiré de cette matière disparate un dieu qui se rit des murs et qui est plus fort que les supplices.
Et c'est pourquoi, t'ai-je dit, je construis l'homme et renverse les murs, et arrache les barreaux et le délivre. Car j'ai bâti celui qui communique et se rit des remparts. Et se rit des geôliers. Et se rit des fers de bourreaux qui ne le peuvent point réduire.
Car, certes, tu ne communiques point de l'un en l'autre. Mais de l'un en l'empire et de l'autre en l'empire qui est pour vous deux significations. Et si tu me demandes: «Comment la joindre, celle-là que j'aime quand les murs ou les mers ou la mort m'en séparent?», je te répondrai qu'inutile est de crier vers elle pour elle, mais qu'il te suffit de chérir ce dont aucun mur ne te sépare, ce visage de la maison, du plateau à thé et de la bouilloire et du tapis de haute laine dont est clef de voûte l'épouse qui dort, puisqu'il t'est donné de l'aimer bien qu'absente et bien qu'endormie…
C'est pourquoi je dis qu'importé d'abord, dans la construction de l'homme, non de l'instruire, ce qui est vain s'il n'est plus qu'un livre qui marche, mais de l'élever et de le conduire aux étages où ne sont plus les choses mais les visages nés du nœud divin qui noue les choses. Car il n'est rien à espérer des choses si elles ne retentissent les unes sur les autres, ce qui est seule musique pour le cœur.
Ainsi de ton travail s'il est pain des enfants ou échange de toi en plus vaste. Ainsi de ton amour s'il est autre chose de plus haut que recherche d'un corps à saisir, car close en soi est la joie qu'il te donne.
Et c'est pourquoi je parlerai d'abord sur la qualité des créatures.
Quand dans la tristesse des nuits chaudes, de retour des sables, tu visites le quartier réservé et choisis celle-ci pour oublier en elle l'amour, et si tu la caresses et l'entends qui te parle et répond, cependant l'amour une fois consommé et même si elle était belle, tu repars dévêtu de toi-même et n'ayant point formé de souvenir.
Mais s'il se trouve que la même d'apparence, aux mêmes gestes, de la même grâce, aux mêmes mots, c'était cette princesse issue d'une île au fil de lentes caravanes, baignée quinze ans d'abord dans la musique, dans le poème et la sagesse, et permanente et sachant brûler de colère sous l'affront, et brûler de fidélité sous les épreuves, et riche de sa part irréductible, pleine de dieux qu'elle ne saurait trahir, et capable d'offrir au bourreau sa grâce extrême pour un seul mot exigé d'elle qu'elle dédaignerait de dire, si bien fondée dans sa noblesse que son dernier pas serait plus pathétique qu'une danse, s'il se trouve que c'est celle-là qui, lorsque tu entres dans la salle de lune aux dalles luisantes où elle t'attend, ouvre pour toi ses jeunes bras, et si maintenant elle prononce les mêmes mots, mais qui seront ici expression d'une âme parfaite, alors je te le dis: tu repartiras au petit jour vers tes sables et vers tes ronces, non plus le même, mais cantique d'action de grâces. Car ne pèse point l'individu avec sa pauvre écorce et son bazar d'idées, mais avant tout compte l'âme plus ou moins vaste avec ses climats, ses montagnes, ses déserts de silence, ses fontes des neiges, ses versants de fleurs, ses eaux dormantes, toute une caution invisible et monumentale. Et c'est d'elle que tu tiens ton bonheur. Et tu ne peux plus t'en distraire. Car n'est point la même ta navigation sur la maigre rivière, même si tu fermes les yeux pour goûter son balancement, et ton voyage sur l'épaisseur des mers. Car n'est point le même ton plaisir, bien que l'objet en soit semblable, du faux diamant ou du diamant pur. Et celle-là qui se tait devant toi n'est point la même qu'une autre dans la profondeur de son silence.
Et tu ne t'y trompes point d'abord.
Et c'est pourquoi je refuse de te faciliter ta besogne et, puisque les femmes sont douces à ton corps, de t'augmenter la facilité de capture en les vidant de leurs consignes, de leur refus et de leur noblesse, car j'aurais détruit par cela même ce que tu prétendais saisir.