Tu rencontreras donc des obligations et des défenses. Car ce champ est impropre au labour, mais non cet autre. Ce puits-là sauvera ce village, et cet autre le rendra malade. Cette fille est à marier et son village devient cantique. Mais l'autre village pleure son mort. Et quand tu tires par un bord, tout le dessin te vient. Car le laboureur boit. Et le puisatier marie sa fille. Et la mariée mange le pain du premier et boit l'eau du second, et tous célèbrent les mêmes fêtes, prient les mêmes dieux, pleurent les mêmes deuils. Et tu deviens ce que l'on devient dans ce village. Tu me diras ensuite qui en toi vient de naître. Et si celui-là ne te plaît point, alors seulement tu renieras mon village.
Car il n'est point de promeneur oisif auquel il soit donné de voir. L'assemblage n'est rien, lequel seul se montre, et comment saurais-tu d'emblée saisir le dieu quand il n'est qu'exercice de ton cœur?
Et je dis vérité cela seul qui t'exalte. Car il n'est rien qui se démontre ni pour ni contre. Mais tu ne doutes point de la beauté si tu retentis à tel visage. Tu me diras alors qu'il est vrai qu'il est beau. Du domaine ainsi, ou de l'empire, s'il te fait accepter, une fois découvert, de mourir pour lui. Comment, me dirais-tu, sont vraies les pierres et non le temple?
Et si du creux du monastère où je t'embrase du plus grand des visages après t'avoir bâti pour qu'il se montre à toi, comment le refuserais-tu? Comment peux-tu me dire qu'est vraie la beauté dans le visage et non Dieu dans le monde?
Car tu crois que t'est naturelle la beauté des visages? Et moi je dis qu'elle est le fruit de ton seul apprentissage. Car je n'ai point connu d'aveugle-né, une fois guéri, qui fût touché d'emblée par un sourire. Il lui faut apprendre aussi le sourire. Mais il te vient, depuis l'enfance, qu'un certain sourire prépare tes joies, car il est d'une surprise que l'on te cache encore. Ou qu'un certain sourcil froncé prépare tes peines, ou qu'une certaine lèvre qui tremble annonce les larmes, ou qu'un certain éclat des yeux annonce le projet qui entraîne et qu'une certaine inclinaison annonce la paix et la confiance dans ses bras.
Et de tes cent mille expériences tu construis une image qui est de la patrie parfaite qui te peut tout entier recevoir et combler et vivifier. Et te voilà qui la reconnais dans la foule, et, plutôt que de la perdre, préfères mourir.
La foudre t'a frappé au cœur, mais ton cœur était prêt pour la foudre.
Aussi n'est-ce point l'amour dont je te dis qu'il est long à naître, car il peut être révélation du pain dont je t'ai appris à avoir faim. J'ai ainsi préparé en toi les échos qui vont retentir au poème. Et le poème t'illumine qui laisserait un autre bayant. Je t'ai préparé une faim qui s'ignore et un désir qui n'a point encore pour toi un nom. Il est ensemble de chemins et structure et architecture. Le dieu qui est pour lui le réveillera d'un coup dans son ensemble et toutes ces voies se feront lumière. Et certes tu en ignores tout: car si tu le connaissais et le cherchais c'est qu'il porterait déjà un nom. Et c'est que déjà tu l'aurais trouvé.
CXXI
(Note pour plus tard: A cause d'une fausse algèbre ces imbéciles ont cru qu'il existait des contraires. Et le contraire de la démagogie c'est la cruauté. Alors que le réseau de relations dans la vie est tel que, si tu anéantis l'un de tes deux contraires, tu meurs.
Car je dis que le contraire de quoi que ce soit, c'est et ce n'est que la mort.
Ainsi celui-là qui pourchasse le contraire de la perfection. Et, de rature en rature, il te brûle tout le texte. Car rien n'est parfait. Mais celui qui aime la perfection, il embellit toujours.
Ainsi celui-là qui pourchasse lé contraire de la noblesse. Et il te brûle tous les hommes car aucun n'est parfait.
Ainsi celui-là qui anéantit son ennemi. Et il vivait de lui. Donc il en meurt. Le contraire du navire c'est la mer. Mais elle a dessiné et aiguisé l'étrave et la carène. Et le contraire du feu c'est la cendre mais elle veille sur le feu.
Ainsi celui-là qui lutte contre l'esclavage, faisant appel à la haine, au lieu de lutter pour la liberté, faisant appel à l'amour. Et comme il est partout, dans toute hiérarchie, des traces d'esclavage et que tu peux appeler esclavage le rôle des fondations du temple sur qui s'appuient les pierres nobles qui seules gravissent le ciel, te voilà obligé, de conséquence en conséquence, d'anéantir le temple.
Car le cèdre n'est point refus et haine de ce qui n'est point cèdre, mais rocaille drainée par le cèdre et devenue arbre.
Si tu luttes contre quoi que ce soit, le monde entier te deviendra suspect car tout est abri possible et réserve possible et nourriture possible pour ton ennemi. Si tu luttes contre quoi que ce soit, tu dois t'anéantir toi-même car il en est en toi une part, aussi faible soit-elle.