Et te voilà comblé par une certaine couleur des yeux qui deviennent sombres. Car l'enfant s'enroule sur son trésor pour s'en éclairer à l'intérieur, d'un coup, dès que le cadeau l'a touché, comme le font les anémones de mer. Et il fuirait si tu le laissais fuir. Et il n'y a point d'espoir de l'atteindre. Ne lui parle pas, il n'entend plus.
Cette couleur à peine changée, plus légère que d'un nuage sur la prairie, ne va pas me dire qu'elle ne pèse point. Car si même elle se trouvait seule récompense de ton année et de la sueur de ton travail et de ta jambe perdue à la guerre, et de tes nuits de méditation et des affronts et des souffrances endurés, voici qu'elle te paierait quand même et t'émerveillerait. Car tu gagnes dans cet échange.
Car il n'est point de raisonnement pour raisonner sur l'amour du domaine, sur le silence du temple ni pour cette seconde incomparable.
Donc mon soldat voulait mourir — lui qui n'avait vécu que de soleil et que de sable, lui qui ne connaissait point d'arbre de lumière, lui qui savait à peine la direction du nord — parce qu'on lui avait dit qu'étaient menacées quelque part par quelque conquête une certaine odeur de cire et une certaine couleur des yeux et que les poèmes les lui avaient autrefois faiblement apportées comme le vent l'odeur des îles. Et je ne connais point de raison meilleure pour mourir.
Car il se trouve que t'alimente seul le nœud divin qui noue les choses. Lequel se rit des mers et des murs. Et te voilà comblé dans ton désert de ce qu'existé quelque part, dans une direction que tu ignores, chez des étrangers dont tu ne sais rien en un pays dont tu ne peux rien concevoir, une certaine attente d'une certaine image d'un pauvre objet de bois verni, laquelle s'enfonce dans les yeux d'un enfant comme une pierre dans les eaux dormantes.
Et il se trouve que l'aliment que tu en reçois te vaut la peine de mourir. Et que je lèverais des armées, si je le souhaitais, pour sauver quelque part dans le monde une odeur de cire.
Mais je ne lèverai point d'armée pour la défense des provisions. Car elles sont faites et tu n'as rien à en attendre, sinon de te changer en bétail morne.
C'est pourquoi si s'éteignent tes dieux tu n'accepteras plus de mourir. Mais tu ne vivras point non plus. Car n'existent point les contraires. Si la mort et la vie sont des mots qui se tirent la langue, reste cependant que tu ne peux vivre que de ce qui te peut faire mourir. Et qui refuse la mort, refuse la vie.
Car s'il n'est rien au-dessus de toi, tu n'as rien à recevoir. Sinon de toi-même. Mais que tires-tu d'un miroir vide?
CXXIII
Je parlerai pour toi qui es seule. Car j'ai le désir de verser en toi cette lumière.
Ayant découvert que dans ton silence et dans ta solitude il était possible de t'alimenter. Car les dieux se rient des murs et des mers. Et tu es enrichie, toi aussi, de ce qu'il existe quelque part une odeur de cire. Même si tu n'espères point la goûter jamais.
Mais la qualité de la nourriture que je t'apporte, je n'ai d'autre moyen d'en juger que de te juger toi-même. Que deviens-tu l'ayant reçue? Je veux que tu joignes les mains dans le silence, les yeux devenus sombres, comme de l'enfant auquel j'ai remis le trésor qui commence de le dévorer. Car ce n'était point objet non plus mon cadeau à l'enfant. Celui qui sait, de trois cailloux, bâtir une flotte de guerre et la menacer d'une tempête, si je lui donne le soldat de bois, il en fait armée et capitaines et fidélité à l'empire et dureté de la discipline et mort par la soif dans le désert. Car il en est ainsi de l'instrument pour la musique, lequel est bien autre chose qu'instrument mais matière du piège pour tes captures. Lesquelles ne sont jamais de l'essence du piège. Et toi aussi je t'illuminerai afin que ta mansarde soit claire et habite ton cœur. Car n'est point la même la ville endormie que tu regardes de ta fenêtre si je t'ai parlé du feu sous la cendre. Et n'est point le même le chemin de ronde pour ma sentinelle s'il est promontoire de l'empire.
Quand tu te donnes, tu reçois plus que tu ne donnes. Car tu n'étais rien et tu deviens. Et peu m'importe si les mots se tirent la langue.
Je parlerai pour toi qui es seule car j'ai le désir de t'habiter. Et peut-être t'est-il difficile à cause d'une épaule démise ou d'une infirmité de l'œil de recevoir l'époux de chair dans ta maison. Mais il est des présences plus fortes et j'ai observé que n'était plus le même le cancéreux sur son grabat un matin de victoire et que, malgré que l'épaisseur des murs empêche le bruit des clairons, sa chambre était comme pleine.
Et cependant qu'est-il passé du dehors au-dedans sinon le nœud des choses qui est victoire et se rit des murs et des mers? Et pourquoi n'existerait-il point de divinité plus brûlante encore? Laquelle te pétrira brûlante de cœur et fidèle et merveilleuse.