Je n'honore point ta soif de ce qu'elle enrichit ton eau d'une importance charnelle, mais de ce qu'elle t'oblige à lire les étoiles, et le vent, et les traces de ton ennemi sur le sable. C'est pourquoi essentiel il est que tu comprennes que caricature de la vie serait, pour t'animer, de te refuser le droit de boire car alors simplement j'exalterais ton ventre au désir de l'eau, mais qu'il importe simplement que je te soumette, si tu désires t'abreuver, au cérémonial de la marche sous les étoiles et de la manivelle rouillée qui est cantique, qui rend ainsi de ton acte signification de prière, afin que l'aliment pour ton ventre se fasse aliment pour ton cœur.
Tu n'es point bétail dans l'étable. Tu changes l'étable contre une autre, la mangeoire est la même, la même la litière de paille. Et le bétail ne s'y trouve ni mieux ni plus mal. Mais pour toi le repas, s'il est pour ton ventre, est aussi pour ton cœur. Et si tu meurs de faim et que l'ami t'ouvre sa porte et te pousse contre sa table et pour toi remplisse la jarre de lait et rompe le pain, c'est le sourire que tu bois, car le repas a vertu de cérémonial. Te voilà certes rassasié, mais s'épanouit aussi ta gratitude pour la bonne volonté des hommes.
Je veux que le pain soit de ton ami, et le lait de la maternité de ta tribu. Je veux que la farine d'orge soit de la fête des moissons. Et l'eau d'un chant de poulie ou d'une direction sous les étoiles.
Je l'ai remarqué de mes soldats dont j'aime qu'ils soient aimantés et vivants comme l'aiguille de fer sur les navires. Et ce n'est point pour les déposséder des biens du monde que je les préfère liés à l'épouse et d'une chasteté mesurée, car leur chair alors les tire vers elle et ils reconnaissent le nord du sud et l'est de l'ouest, et il est de même une étoile qui est direction bien-aimée.
Mais si la terre leur est comme un grand quartier réservé où l'on frappe à la porte de hasard pour éteindre en soi le goût de l'amour, si toutes leur sont complaisantes, de ne point distinguer de chemin et d'être installés sans direction sur l'écorce nue de la terre, ils n'habitent plus nulle part.
Ainsi mon père ayant rassasié, abreuvé et nourri de filles ses Berbères, en fit bétail désespéré.
Mais je suis celui qui habite, et tu ne toucheras ta femme qu'une fois tes noces célébrées, afin que ton lit soit victoire. Et, certes, il en est qui mourront d'amour faute de se pouvoir joindre, mais les morts pour l'amour seront ainsi condition de l'amour, et si de plaindre ceux qui s'aiment me voilà qui les favorise contre les digues et les remparts et le cérémonial qui fonde le visage de l'amour, ce n'est point l'amour que je leur accorde mais le droit d'oublier l'amour.
Non moins fou je serais que si, sous prétexte qu'il n'est point de l'espérance de tous de posséder un diamant, j'ordonnais que les diamants fussent tous jetés dans la fournaise, afin de sauver l'homme de la cruauté de son désir.
S'ils désirent une femme à aimer, me faut bien leur sauver l'amour.
Je suis celui qui habite. Je suis pôle aimanté. Je suis graine de l'arbre et ligne de force dans le silence afin que soient un tronc, des racines et des branches et tels fleur et fruit et non d'autres, tel empire et non un autre, tel amour et non un autre, non point par refus ni mépris des autres, mais parce que l'amour n'est point une essence trouvée comme objet parmi des objets, mais couronnement d'un cérémonial comme il en est de l'essence de l'arbre, lequel domine son essentielle diversité. Je suis la signification des matériaux. Je suis basilique et sens des pierres.
CLXXXVIII
N'est rien à espérer si te voilà aveugle à cette lumière qui n'est point des choses mais du sens des choses. Et je te retrouve devant ta porte:
«Que fais-tu là?»
Et tu ne sais, et te plains de la vie.
«La vie ne m'apporte plus rien. Dort ma femme, repose mon âne, mûrit mon blé. Je ne suis rien qu'attente stupide et m'y ennuie.»
Enfant sans jeu qui ne sait plus lire à travers. Je m'assieds près de toi et t'enseigne. Tu baignes dans le temps perdu, et t'assiège l'angoisse de ne point devenir.
Car d'autres disent: «Il faut un but.» Ta nage est belle qui te crée un rivage lentement désenseveli de la mer. Et la poulie grinçante qui te crée l'eau à boire. Ainsi du blé doré qui est rivage du noir labour. Ainsi du sourire de l'enfant qui est rivage de l'amour domestique. Ainsi du vêtement au filigrane d'or lentement cousu pour la fête. Et que deviens-tu en toi-même si tu tournes la manivelle pour le seul bruit de la poulie, si tu couds le vêtement pour le vêtement, si tu fais l'amour pour l'amour? Vite ils s'épuisent, car ils n'ont rien à te donner.