Et voilà, diras-tu. J'ai diminué les misères des hommes. Car je les ai guéris de la soif de cailloux auxquels la plupart ne pouvaient prétendre. Car tu juges selon l'envie, laquelle est douloureuse. L'objet de l'envie est donc un mal. Et tu ne laisses rien subsister qui soit hors d'atteinte. L'enfant tend la main et crie vers l'étoile. Ta justice, donc, te fait un devoir de l'éteindre.
Ainsi pour la possession des pierreries. Et tu les entreposes dans le musée. Tu dis: «Elles sont à tous.» Et certes ton peuple défilera le long des vitrines, les jours de pluie. Et ils bâilleront sur les collections d'émeraudes car il n'est plus de cérémonial qui les éclaire d'une signification. Et en quoi sont-elles plus rayonnantes que du verre taillé?
Tu as purgé jusqu'au diamant de sa nature particulière. Car il pouvait être pour toi. Tu l'as châtré du rayonnement qui lui venait d'être souhaitable. Ainsi des femmes, si tu les interdis. Si belles qu'elles soient, elles seront mannequins de cire. Je n'ai jamais vu quiconque mourir, aussi admirable qu'en fût l'image, pour telle ou telle que le bas-relief d'un sarcophage a perpétuée jusqu'à lui. Elle verse la grâce du passé ou sa mélancolie, non la cruauté du désir.
Ainsi ne sera pas le même ton diamant non posséda-ble. Lequel brillait de cette qualité. Car alors il te glorifiait et t'honorait et t'augmentait de son éclat. Mais tu les as changés en décorations de vitrine. Ils seront honneur des vitrines. Mais ne souhaitant point d'être une vitrine, tu ne souhaites pas le diamant.
Et si maintenant tu en brûles un pour ennoblir de ce sacrifice le jour de la fête, et ainsi en multiplier le rayonnement sur ton esprit et sur ton cœur, tu ne brûleras rien. Ce n'est point toi qui sacrifieras le diamant. Il sera don de ta vitrine. Et elle s'en moque. Tu ne peux plus jouer avec le diamant qui ne t'est plus d'aucun usage. Et, murant tel dans la nuit du pilier du temple, afin de le donner aux dieux, tu ne donnes rien. Ton pilier n'est qu'un entrepôt à peine plus discret que la vitrine, laquelle est également discrète si le soleil invite ton peuple à fuir la ville. Ton diamant n'a pas valeur de don puisqu'il n'est pas objet que l'on donne. Il est objet que l'on entrepose. Ici ou là. Il n'est plus aimanté. Il a perdu ses divines lignes de force. Qu'as-tu gagné?
Mais moi j'interdis que s'habillent en rouge ceux-là qui ne descendent point du prophète. Et en quoi ai-je lésé les autres? Aucun ne s'habillait en rouge. Le rouge manquait de signification. Désormais tous rêvent de s'habiller en rouge. J'ai fondé le pouvoir du rouge et tu es plus riche de ce qu'il existe, bien qu'il ne soit point pour toi. Et l'envie qui te vient est signe d'une ligne de force nouvelle.
Mais l'empire te semble parfait si au cœur de la ville tel qui s'assiéra les jambes en croix y mourra de soif et de faim. Car rien ne le tirera de préférence ni vers la droite, ni vers la gauche, ni en avant, ni en arrière. Et il ne recevra point d'ordres, de même qu'il n'en donnera point. Et il ne sera en lui d'élan ni vers le diamant non possédable, ni vers le caillou contre la poitrine, ni vers le vêtement rouge. Et chez le marchand d'étoffes de couleur tu le verras qui bâillera des heures durant, attendant que je charge de mes significations la direction de ses désirs.
Mais, de ce que j'ai interdit le rouge, le voilà qui louche vers le violet… ou bien, car il est réfractaire et libre, et hostile aux honneurs, et dominant les conventions, et se moquant bien du sens des couleurs, lesquelles sont de mon arbitraire, tu le vois qui te fait vider tous les rayons du magasin, et tripatouille dans les réserves, afin de trouver la couleur la plus opposée à la couleur rouge, comme le vert cru, et qui te fait le dégoûté tant qu'il n'a pas trouvé la perfection des perfections. Après quoi tu le vois tout glorieux de son vert cru, et se pavanant dans la ville par mépris de ma hiérarchie des couleurs.
Mais il se trouve que je l'ai animé tout le long du jour. Autrement, habillé de rouge, il eût bâillé dans un musée, car il pleut.
«Moi, disait mon père, je fonde une fête. Mais ce n'est point une fête que je fonde, c'est telle relation. J'entends ricaner les réfractaires qui me fondent aussitôt la contre-fête. Et la relation est la même qu'ils affirment et perpétuent. Je les emprisonne donc un peu pour leur plaire, car ils tiennent au sérieux de leur cérémonial. Et moi aussi.»
CCVIII
Donc se leva le jour. Et j'étais là comme le marin, les bras croisés, et qui respire la mer. Telle mer à labourer et non une autre. J'étais là comme le sculpteur devant la glaise. Telle glaise à pétrir et non une autre. J'étais là, tel, sur la colline, et j'adressai à Dieu cette prière: