Ceux de tel empire, s'ils sont bien fondés, mon corrupteur y fait sourire. La maladie que je leur offre n'est point pour eux. Si ceux de tel autre sont usés de cœur, la maladie que je leur offre fera son entrée par tel et tel qui succomberont les premiers. Et, progressant de l'un en l'autre, elle pourrira tous ceux de l'empire, car ma maladie était pour eux. Les premiers touchés sont-ils responsables de la pourriture de l'empire? Tu ne prétends point, dans l'empire le plus sain, que n'existent point les porteurs de chancre! Ils sont là, mais comme en réserve pour les heures de décadence. Alors seulement se répandra la maladie, laquelle n'avait pas besoin d'eux. Elle en eût trouvé d'autres. Si la maladie pourrit la vigne de racine en racine, je n'accuse point la première racine. L'eussé-je brûlée l'année d'auparavant qu'une autre racine eût servi de porte à la pourriture.
Si l'empire se corrompt, tous ont collaboré à la corruption. Si le plus grand nombre tolère, en quoi n'est-il point responsable? Je te dis meurtrier si l'enfant se noie dans ta mare, et que tu négliges de le secourir.
Stérile je serai donc si je tente, dans la pourriture du rêve, de sculpter après coup un passé révolu, décapitant les corrupteurs comme les complices de corruption, les lâches comme les complices de lâcheté, les traîtres comme les complices de trahison, car, de conséquence en conséquence, j'anéantirai jusqu'aux meilleurs puisqu'ils auront été inefficaces, et qu'il me restera à leur reprocher leur paresse, ou leur indulgence, ou leur sottise. En fin de compte j'aurai prétendu anéantir de l'homme ce qui est susceptible d'être malade et d'offrir une terre fertile à telle semence, et tous peuvent être malades. Et tous sont terre fertile pour toutes semences. Et il me faudra les supprimer tous. Alors sera parfait le monde, puisque purgé du mal. Mais moi je dis que la perfection est vertu des morts. L'ascension use pour engrais des mauvais sculpteurs comme du mauvais goût. Je ne sers point la vérité en exécutant qui se trompe car la vérité se construit d'erreur en erreur. Je ne sers point la création en exécutant quiconque manque la sienne, car la création se construit d'échec en échec. Je n'impose point telle vérité en exécutant qui en sert une autre, car ma vérité est arbre qui vient. Et je ne connais rien que terre arable, laquelle n'a point encore alimenté mon arbre. Je viens, je suis présent. Je reçois le passé de mon empire en héritage. Je suis le jardinier en marche vers sa terre. Je n'irai point lui reprocher de nourrir des cactus et des ronces. Je me moque bien des cactus et des ronces, si je suis semence du cèdre.
Je méprise la haine, non par indulgence, mais parce que, venant de Toi, Seigneur, où tout est présent, l'empire m'est présent dans chaque instant. Et dans chaque instant, je commence.
Je me souviens de l'enseignement de mon père:
«Ridicule est la graine qui se plaint de ce que la terre à travers elle se fasse salade plutôt que cèdre. Elle n'est donc que graine de salade.»
Il disait de même: «Le bigle a souri à la jeune fille. Elle s'est retournée vers ceux qui plantent droit leur regard. Et le bigle va racontant que ceux dont le regard est droit corrompent les jeunes filles.»
Bien vaniteux les justes qui s'imaginent ne rien devoir aux tâtonnements, aux injustices, aux erreurs, aux hontes qui les transcendent. Ridicule le fruit qui méprise l'arbre!
CCIX
De même que celui-là qui croit trouver sa joie dans la richesse du tas d'objets, impuissant qu'il est à l'en extirper car elle n'y réside point, multiplie ses richesses et empile les objets en pyramides et s'en va s'agiter parmi eux dans leurs caves, pareil à ces sauvages qui te démontent les matériaux du tambour, afin de capturer le bruit.
De même ceux-là, qui d'avoir connu que les relations de mots contraignantes te soumettent à mon poème, que les structures contraignantes te soumettent à la sculpture de mon sculpteur, que les relations contraignantes entre les notes de la guitare te soumettent à l'émotion du guitariste, croyant que le pouvoir réside dans les mots du poème, les matériaux de la sculpture, les notes de la guitare, te les agitent dans un désordre inextricable et, de n'y point retrouver ce pouvoir, puisqu'il n'y réside point, exagèrent, pour se faire entendre, leur tintamarre, charriant au plus en toi l'émotion que tu tireras d'une pile de vaisselle qui se brise, laquelle d'abord est de qualité discutable, laquelle ensuite est de discutable pouvoir, et serait autrement efficace, te régissant, te gouvernant, te provoquant autrement mieux, si tu la tirais de la pesanteur de mon gendarme, quand il t'écrase l'orteil.