M. Chantal se tut. Il était assis sur le billard, les pieds ballants, et il maniait une boule de la main gauche, tandis que de la droite il tripotait un linge qui servait à effacer les points sur le tableau d’ardoise et que nous appelions « le linge à craie ». Un peu rouge, la voix sourde, il parlait pour lui maintenant, parti dans ses souvenirs, allant doucement, à travers les choses anciennes et les vieux événements qui se réveillaient dans sa pensée, comme on va, en se promenant, dans les vieux jardins de famille où l’on fut élevé, et où chaque arbre, chaque chemin, chaque plante, les houx pointus, les lauriers qui sentent bon, les ifs, dont la graine rouge et grasse s’écrase entre les doigts, font surgir, à chaque pas, un petit fait de notre vie passée, un de ces petits faits insignifiants et délicieux qui forment le fond même, la trame de l’existence.
Moi, je restais en face de lui, adossé à la muraille
(а я стоял напротив него, прислонившись к стене;Il reprit, au bout d’une minute
(через минуту он продолжил;– Cristi, qu’elle était jolie à dix-huit ans
(ух ты, как она была красива в восемнадцать лет;Moi, je restais en face de lui, adossé à la muraille, les mains appuyées sur ma queue de billard inutile.
Il reprit, au bout d’une minute :
– Cristi, qu’elle était jolie à dix-huit ans… et gracieuse… et parfaite… Ah! la jolie… Jolie… Jolie… et bonne… et brave… et charmante fille !.. Elle avait des yeux… des yeux bleus… transparents… clairs… comme je n’en ai jamais vu de pareils… Jamais !
Il se tut encore
(он снова замолчал). Je demandai (я спросил):– Pourquoi ne s’est-elle pas mariée
(почему она не вышла замуж)?Il répondit, non pas à moi, mais à ce mot qui passait « mariée »
(он ответил, не на мой вопрос: «не мне», но на прозвучавшие слова «замуж»;