А l'heure des repas, on pouvait remarquer l'effort qu'il faisait pour paraоtre serein.
Il s'adressait alors а sa compagne ou rйpondait а ses questions affectueuses par de brиves monosyllabes, marquant ses mots d'un laconisme incomprйhensible.
Souffrant cruellement de cette situation, Livia йtait de plus en plus abattue, et essayait en vain de comprendre la raison de tant d'йpreuves et de malheurs.
Plusieurs fois, elle avait sondй l'esprit de Publius pour lui apporter un peu de tendresse et de rйconfort, mais il йvitait ses йlans d'affection sous des prйtextes irrйfutables. Elle ne le voyait plus que dans le triclinium et une fois le repas terminй, il se retirait promptement dans la grande salle des archives oщ il passait toutes ses heures dans d'inquiйtantes mйditations.
Concernant Marcus, il n'avait aucune nouvelle qui aurait pu lui donner le moindre
espoir.
Par un beau matin, Livia parlait discrиtement avec sa dйvouйe servante et amie fidиle qui la questionnait gentiment sur son йtat de santй. Celle-ci lui rйpondit en ces termes :
Je ne me sens pas bien, ma bonne Anne !... La nuit, mon cњur bat irrйguliиrement et, d'heure en heure, je sens grandir en moi une douloureuse impression d'amertume. Je ne pourrais dйfinir mon йtat, mкme si je le voulais... La disparition de notre petit remplit mon вme de sombres prйsages qui augmentent le poids de mes afflictions maternelles d'autant que je ne peux entrevoir, mкme vaguement, la cause d'une si grande souffrance...
Et maintenant, voilа que l'йtat de Publius me contrarie beaucoup. Il a toujours йtй un homme pur, loyal et gйnйreux ; mais depuis quelque temps, je remarque dans son tempйrament de singuliers changements qui viennent aggraver ces symptфmes maladifs, depuis l'incomprйhensible disparition de notre petit garзon.
Personnellement, j'ai l'impression que les tourments affectifs l'accablent et portent sйrieusement prйjudice а sa santй...
Je vois bien, Madame, combien vous souffrez ! - lui fit gentiment sa servante. - Je sais que je ne suis qu'une humble crйature, sans grande valeur, mais je demanderai а Dieu qu'il vous protиge et qu'il ramиne la paix dans votre cњur.
Crйature humble et sans valeur ? - dit la pauvre femme en cherchant а lui dйmontrer le degrй de son estime sincиre. - Ne dis pas cela, je ne suis pas de ces вmes qui apprйcient la valeur des autres en fonction de la position dont ils jouissent ou pour les honneurs qu'ils reзoivent.
Fille unique de parents qui m'ont lйguй une fortune considйrable, citoyenne romaine avec les prйrogatives d'une femme de sйnateur, tu vois combien je souffre dans les tribulations arriйres de ce monde !
Les titres que le berceau m'a accordйs ne sont pas parvenus а йviter les йpreuves que la destinйe aussi m'a apportйes avec la jeunesse et la fortune facile.
Reconnais, donc, qu'entre moi qui suis patricienne et toi servante, nos cњurs ne sont pas diffйrents, mais qu'un fort sentiment de fraternitй nous ouvre les portes а une comprйhension affectueuse, un doux refuge pour les jours tristes de la vie.
Personnellement, contrairement а l'йducation que j'ai reзue, j'ai toujours pensй que tous les кtres sont frиres, qu'ils ont une origine commune, sans rйussir а accepter les limites qui sйparent ceux qui possиdent de nombreux biens et titres, de ceux qui ne possиdent rien en ce monde si ce n'est dans leur cњur oщ j'ai pour habitude de reconnaоtre la valeur de chacun.
Maоtresse - s'exclama la servante agrйablement surprise -, vos paroles me touchent non seulement parce qu'elles sortent de votre bouche que je suis habituйe а entendre parler avec tendresse et vйnйration, mais aussi parce que le prophиte de Nazareth nous a dit la mкme chose dans ses prкches.
Jйsus ?!... - demanda Livia, les yeux brillants, comme si cette rйfйrence lui rappelait une source de consolation qu'elle avait momentanйment oubliйe.
Oui, ma Maоtresse, et pour parler de lui, pourquoi ne chercheriez-vous pas un peu de rйconfort dans ses divines paroles ? Je vous jure que ses expressions sages et aimantes vous consoleraient face а tous ces chagrins, vous procurant les sensations d'une vie nouvelle !... Si vous le vouliez, je pourrais discrиtement vous conduire chez Simйon pour que vous puissiez bйnйficier de ses leзons amicales. Vous recevriez ainsi la joie de sa bйnйdiction sans vous exposer aux critiques d'autrui, nourrissant votre cњur de ses lumineux enseignements.
Livia rйflйchit longuement а ce conseil qui semblait кtre une disposition bйnйfique, puis rйpondit finalement :
Les souffrances de la vie m'ont maintes fois brisй le cњur et ont remis en question mes idйes concernant certains principes qui m'ont йtй enseignйs dиs mon plus jeune вge et c'est pour cela que j'accepte ta suggestion, je crois donc qu'il est de mon devoir d'aller voir Jйsus publiquement, comme le font d'autres femmes qui vivent en ces lieux