La critique de Mathiez était donc principalement dirigée contre la politisation de la science historique marxiste. En traitant les historiens soviétiques d’«instruments dans la main du gouvernement»[449]
, il qualifiait les participants soviétiques de cette polémique d’«historiens de Staline», de «prophètes» de Staline, leur dieu, privés de la possibilité de voir la vérité[450]. Or, ceux-ci, persuadés que le marxisme était «la seule méthode qui garantissait l’authenticité de l’étude scientifique des événements de la fin du XVIIIe sincle»[451], acceptèrent avec joie les appréciations de Mathiez, qui étaient même, d’aprns leur mentalité, plus que flatteuses. Donc, constatant le soi-disantMathiez ne doutait pas que la science historique soviétique était devenue entinrement un instrument aux ordres du pouvoir. Je me permets de rappeler l’une de ses réflexions, relative au statut de la science historique: «Rien ne montre mieux qu’à l’heure actuelle, dans ce pays, l’histoire trop souvent a cessé d’être indépendante et subit docilement la pression toute puissante de la politique qui lui impose ses concepts, ses préoccupations, ses mots d’ordre et jusqu’à ses conclusions»[455]
. D’ailleurs Loukine la qualifia de «la plus effroyable» parmi les autres accusations avancées par lui[456]. Comprenant bien les inévitables suites tragiques d’une telle situation pour le développement de la science historique en URSS, Mathiez relnve avec douleur: «Dans la Russie de Staline, il n’y a plus de place pour une science indépendante, pour une science libre et désintéressée, pour une science tout court. L’histoire notamment n’est plus qu’une branche de la propagande»[457]. Complétons avec l’historien Alexandre Gordon d’aprns qui l’«engagement idéologique dissimulé» de la science historique soviétique de cette époque «signifiait non seulement son appartenance àDans l’historiographie de la Révolution française, la polémique de Mathiez avec les historiens soviétiques est demeurée longtemps ignorée des chercheurs. Les historiens occidentaux et américains ont parfois abordé ce thème mais guère de façon détaillée. Jean Dautry l’a complètement omis dans son étude analytique et intéressante sur Mathiez[459]
. Même Jacques Godechot, dans son aperçu prolixe sur la vie et l’activité de son ma’tre, s’est limité à quelques lignes brèves sur la rupture de ses relations avec ses collègues soviétiques[460]. James Friguglietti est demeuré bien longtemps le seul historien qui l’a discuté dans la mesure de ses possibilités[461]. On doit obligatoirement citer aussi les noms de Tamara Kondratieva, de Yannick Bosc et de Florence Gauthier qui ont récemment discuté cette question dans leurs études citées, mais de façon trop brève.