C’est à l’époque post-gorbatchévienne qu’on a pu entreprendre les premières tentatives pour élucider cette polémique. Dans les années quatre-vingt-dix, Dounaïevski devint l’initiateur de la publication en russe de quelques documents qui jetaient une lumière sur cette discussion: il a par exemple réuni les deux lettres inédites de Friedland à Mathiez et de ce dernier à son opposant, datées de 1930, qu’il avait tirées des Archives de l’Académie des Sciences de la Russie, ainsi que
Dans la préface à cette publication, Dounaïevski dresse en bref le tableau de la situation politique en URSS au tournant des années vingt-trente, qui fut la cause du brusque changement d’attitude de Mathiez à l’égard de l’URSS et des historiens soviétiques. En dépit de sa critique réservée à l’adresse des historiens soviétiques qui avaient pris part à cette polémique, Dounaïevski caractérise leur action contre Mathiez de «croisade» et il remarque que le chercheur français avait eu raison de souligner la victoire du dogmatisme dans la science historique soviétique. Quant aux motifs dominants adoptés par les historiens soviétiques lors de cette polémique, Dounaïevski mentionne leurs convictions personnelles, mais aussi le dogmatisme et le conformisme propres à la réalité soviétique de cette époque[484]
. Les observations que formulent Alexandre Gordon sont également trns intéressantes; il attire notre attention sur le caractère exclusivement politique de cette discussion, qui n’avait absolument rien de commun avec la science historique. Il met en évidence non seulement l’objectivité de Mathiez mais aussi sa compréhension des particularités fondamentales de la science historique soviétique, celles de son idéologisation et de son désir profond d’être intégrée dans le système du pouvoir étatique[485].James Friguglietti avait raison de considérer la querelle entre Mathiez et Aulard comme une confrontation entre l’école «officielle», qui soutenait la troisième République, et la nouvelle école à tendance socialiste de Mathiez. «Finalement, Albert Mathiez et ses successeurs à la Société des études robespierristes triomphèrent» écrit-il[486]
. Dans le cas de la polémique de Mathiez avec ses confrères soviétiques, on doit souligner finalement l’éclatante victoire qu’il avait remportée. Le temps s’est prononcé en faveur de Mathiez, ayant prédit en 1930 qu’on ne pouvait jamais étouffer la vérité, et que celle-ci ne tarderait pas à émerger ultérieurement, mrme en Russie. Et il n’a d’ailleurs pas hésité à annoncer qu’elle pourrait se venger de lui[487]. La vérité s’est vengée, mais de ses opposants soviétiques.Libérés définitivement des cha’hes idéologiques, et aprns avoir reçu la possibilité d’interpréter cette discussion de positions impartiales, quelques-uns des chercheurs russes contemporains ont confirmé le fondement des jugements d’Albert Mathiez. Qu’il me soit permis, pour conclure, de mentionner que dans son ensemble, la célèbre des sentences romaines,
P.S. Comme mentionné, Vladimir Dounaïevski a publié dans le revue russe
Paris, le 20 décembre 1930
Monsieur le Professeur,
J’ai publié l’article de M[onsieu]r Bouchémakine sans hésitation. Pour moi, il n’y a pas d’historiens de I-e, 2-e, ou 3-e catégorie. Cette hiérarchie communiste m’est inconnue. Je ne connais que des articles instructifs et des articles sans intérêt. J’ai estimé que l’article de M[onsieu]r Bouchémakine, bien qu’il fût hostile à mes thèses comme aux vôtres, m’apprenait quelque chose et c’est la raison pour laquelle je l’ai publié Vous me dites qu’il a travesti votre pensée. Je suis incapable d’en juger, ignorant la langue russe. Mais vous pouviez rectifier et j’accueillerai toujours votre rectification avec empressement.