La situation était encore pire dans l’historiographie soviét ique. Les historiens avaient intérêt à éviter l’interprétation des désaccords de leurs prédécesseurs avec Mathiez et à condamner à l’oubli les péripéties en relation avec cette polémique. Plusieurs causes expliquent cela. L’une de celles-ci a été l’évolution des conceptions des historiens marxistes soviétiques, y compris ceux qui avaient jadis pris part à cette discussion. Sous l’influence des changements positifs ayant ébranlé l’Union Soviétique après la mort de Staline et des brusques tournants des destin ées personnelles de quelques-uns d’entre eux (détention, exil, exécution de leurs collègues, etc.), leur position envers leurs confrères étrangers, et surtout ceux de gauches avait subi des profondes modifications et s’amé liora considérablement. Cette circonstance est tout particulièrement visible dans l’émergence d’une attitude respectueuse envers la mé moire de Mathiez, même de la part de ses anciens opposants. Du coup, ils préférèrent recouvrir d’un voile de silence leurs dissentiments d’autrefois. Il est caractéristique qu’au début des années soixante, les éditeurs des O uvres choisies de Loukine (Albert Manfred, Victor Daline et d’autres) n’ont inclus dans le premier tome de cette édition que les recensions qu’il avait rédigées sur les livres de Mathiez avant la rupture de leurs relations[462]
; ils se sont abstenus de republier les articles de leur mentor contre Mathiez, en préférant de ne citer que leurs titres dans la bibliographie de ses nuvres[463].Le cas de Victor Daline est à cet significatif. Elnve de Loukine dans les années vingt-trente, étant alors jeune et fasciné par la nouvelle méthodologie marxiste, il se dressait résolument contre chaque écart envers l’interprétation marxiste de la Révolution française[464]
. Il n’est pas étonnant qu’il ait signé, suivant ses convictions politiques et «scientifiques», la lettre collective de ces collègues adressée à Mathiez. Or, dans les années soixante-dix – quatre-vingt, dans ses souvenirs, ainsi que lors de ses discours oraux et de ses conversations personnelles avec moi, Daline rappelait toujours avec plaisir et fierté ses rencontres et conversations avec Mathiez lors de sa seule mission scientifique en France en 1929–1930. Dans ses souvenirs il écrivait de lui: «La plus remarquable de mes rencontres à Paris fut celle avec Mathiez […] Après son cours [’ la Sorbonne. –Quelques jours avant son décès, lors de la cérémonie officielle de la réception du diplTi
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