«Jeunesse, dont la culture est dès aujourd’hui notre devoir le plus sacré, vous surtout de qui dépendra un jour le bien-être du cultivateur de ces provinces, oubliez que le sort vous a placés dans un rang plus élevé que cette classe d’hommes laborieux, vos pères nourriciers. Resouvenez-vous plutôt des moyens que vous avez de leur procurer plus de jouissances. Ce sont eux qui vous nourrissent depuis le berceau jusqu’au tombeau. Tous vos plaisirs, toutes vos jouissances sont le fruit de leurs pénibles travaux. Ne les méprisez pas à raison de leur peu de lumières. Avec aussi peu de moyens qu’eux vous resteriez en arrière comme eux, et le peu de progrès de la classe laborieuse est malheureusement la condition nécessaire à vos progrès. Pendant que vous jouissez ici tout ce que les sciences et les arts offrent à votre zèle pour avancer dans la carrière des lumières, le cultivateur labourera pour vous votre champ; il employera pour vous, pour vos lumières ses travaux pénibles, sa journée, une partie de ses nuits, et restera par là même en arrière dans sa propre culture. Soyez donc reconnaissants, honorez une classe d’hommes qui vous fait tant de sacrifices. – Loin de moi l’idée d’oppression. Je parle à une jeunesse dont le cœur, j’espère, est encore ouvert à tous les sentiments nobles. Oui, vous êtes persuadés que vos pères nourriciers ont droit à quelque chose de plus qu’une étroite subsistance, qu’ils ont droit à votre reconnaissance, à votre estime, à
reconnaissance, estime».Sire, si j’avais besoin d’une justification pour ces principes, je l’aurais trouvée dans l’attendrissement général qu’ils ont causé. Plus d’un homme dur présent à ce discours s’est surpris à avoir les yeux humides, et ce n’est qu’à la réflexion, lorsque l’égoïsme eût fait taire le sentiment, qu’on m’a fait un crime de ce passage.
La seconde et dernière fois où j’ai fait mention du paysan en public fut en passage de V. M. et c’est en peu de mots que j’ai eu le bonheur ineffable d’oser Vous dire à cette occasion que je dois vraisemblablement Votre bienveillance particulière et la haine de la noblesse. Je me suis chargé de cette haine, volontierement, après en avoir été expressément menacé par les curateurs quelques instants avant Votre arrivée. Je me chargeais de bien davantage, si mon cœur se fût trompé dans l’avis qu’il s’était fait de Votre Majesté. Le mot fatal prononcé mettait tout mon sort, toute mon existence dans Vos mains. Votre réprobation eût légitimé la haine de la noblesse, et je ne pouvais pas même compter sur l’attachement secret des hommes intègres qui ne jugent pas des motifs par l’évènement. Vous commenciez déjà à faire les délices de l’Europe.
Mais cet instant était sacré. L’humanité le revendiquait. J’osai le lui donner, j’osai forcer notre conseiller intime à Vous recevoir à la tête de l’Université, sinon d’une manière digne de Vous au moins d’une manière qui exprimait notre reconnaissance pour l’honneur que Vous nous faisiez7
. Quelques heures avant Votre arrivée il était encore décidé qu’on recevait le Monarque de la Russie, un froid rapport à la main! Sans connaître tous ces détails, Sire, Votre grand cœur m’a justifié, à présent qu’il les connait il ne me condamnera pas.Dès lors je m’abstiens de tout propos public sur cette matière (tous mes discours sont entre les mains de V. M.), et j’évite à dessein pendant les circonstances actuelles d’en parler dans mes entretiens particuliers avec les étudiants. Du reste j’emploie au moins 14 heures la journée à remplir mes devoirs de recteur et de professeur; les heures du repas et le reste du soir sont pour ma famille, en sorte que quand même j’en aurais l’intention, il me serait impossible de me répandre dans les sociétés pour y prêcher les principes dont on m’accuse.
Voilà, Sire, ce que j’ai à dire pour la justification de l’Université et la mienne, sans attaquer personnellement nos détracteurs. Si j’ai quelque tort dans cette justification, si je me suis oublié quelque part, daignez, Sire, ne pas oublier que Vous connaissez à peine la dixième partie des mesures avilissantes qu’on avait prises contre nous: je les ai tues même au brave avocat
Parrot
17. Alexandre IER
à G. F. Parrot[
<…>2
le plus avantageusement placé pour juger des sentiments que l’on a pour Vous,<…> mais que ce sont précisément les événements, qui éprouvent l’homme, lui en attendant