En bon stratège, Igor place les âmes errantes les plus enragées à la pointe de l'offensive. Nous dardons nos épées d'amour et de lumière pour résister à l'assaut de leur haine. Ils unissent toutes leurs rancœurs, tous les souvenirs des souffrances de leur dernière existence pour produire des rayons verts de haine pure qui ferraillent âprement contre nos rayons bleus d'amour.
Ils sont coriaces. Nous sommes obligés de réunir quatre tirs d'amour pour venir à bout d'une seule lance de haine. La bataille est acharnée. Nous reculons sous les coups des rayons verts, mais déjà Igor organise l'offensive suivante.
– Il nous faut une autre arme défensive, dit Raoul, sinon ils finiront par nous atteindre avec leur haine.
Pour une fois, ce n'est pas Freddy mais moi qui propose le premier:
– L'humour. L'amour pour épée, l'humour pour bouclier.
Les fantômes sont déjà sur nous quand, sur un signe de moi, nous matérialisons par l'esprit des boucliers d'humour que nous empoignons vigoureusement de nos mains gauches (sauf Marilyn Monroe qui pour la raison déjà indiquée se sert de sa main droite).
Cette fois, leur haine ne nous touche pas, déviée par nos boucliers. Tandis que notre amour leur taille des croupières, cinquante âmes errantes parmi les plus féroces s'enfournent dans le vortex du Paradis. Marilyn Monroe reprend espoir. Elle clame à tout va ce qui deviendra notre nouveau cri de ralliement:
– L'amour pour épée, l'humour pour bouclier!
Igor sonne la retraite. Aussitôt, les êtres d'ombre s'assemblent autour de lui pour décider quelle sera l'arme qui contrera notre humour: la moquerie.
Leur devise est désormais: La haine pour épée, la moquerie pour bouclier.
– À l'assaut! crie Igor.
Ils chargent.
181. ENCYCLOPÉDIE
ARMES: «L'amour pour épée, l'humour pour bouclier.»
Edmond Wells, Encyclopédie du
182. LA BATAILLE DE L'ARMAGEDDON 2 (suite)
Si nous perdons cette bataille et si ces âmes errantes découvrent Rouge, leurs idées noires se répandront comme des virus dans l'Univers. Elles n'auront plus ensuite qu'à visiter une par une les autres galaxies pour tout contaminer.
L'enjeu n'est pas négligeable. Je comprends pourquoi l'instructeur de Zoz voulait garder le silence sur les peuples extraterrestres. Même si c'en est fini du temps des secrets, certaines informations gagnent à n'être communiquées qu'avec parcimonie.
L'armée des êtres d'ombre avance. Vision d'apocalypse. Dans mes oreilles résonne
– Feu! ordonne Igor.
Nous avons à peine le temps de nous abriter derrière nos boucliers d'humour. Nous contre-attaquons d'un tir nourri d'amour qu'ils esquivent facilement derrière leur barrière de moquerie.
Déjà une deuxième ligne se présente formée de désespérés et de fous. Sur ceux-là, ni l'amour ni l'humour n'ont de prise.
– Chargez! commande Igor.
Un flot de haine renforcé de démence heurte et plie nos boucliers d'humour. Difficile à quatre de s'opposer à une telle multitude. Les fous se moquent de nous et Igor constate que la moquerie n'est pas seulement une arme de défense, elle peut aussi servir à l'offensive. Avec nos boucliers, nous nous mettons en formation de tortue et leurs moqueries ricochent.
Visée par une méchante remarque personnelle, Marilyn, qui a mal placé son humour défensif, est légèrement touchée. Elle n'a jamais supporté qu'on mette en doute son talent d'actrice. Freddy est obligé de lui remonter le moral. Nous armons nos mains de tout notre amour. Chacun pense à ce qu'il y a eu de plus beau dans sa précédente existence. Je me souviens de l'amour qui me liait à Rose, la femme de ma dernière vie de chair.
– Chargez! répète Igor.
Nous abaissons nos boucliers et tirons de l'amour en rafales sur la tenaille qui cherche à nous étrangler. Ça marche. Il ne reste plus qu'à aspirer ces corps éthérés. Ils entrent par le bas de notre dos, remontent par notre échine impalpable, et il n'y a plus qu'à les propulser par le sommet du crâne. Nos colonnes vertébrales ecto-plasmiques, rampes de lancement vers le Paradis, sont encombrées de fantômes à sauver. Mais, pendant ce temps, nous avons du mal à protéger nos flancs d'une nouvelle vague d'assaut qui fait éclater notre formation.
Séparés, nous nous défendons tant bien que mal au corps à corps. Un coup d'humour pour se protéger, un coup d'amour pour attaquer, un coup de colonne vertébrale pour expédier au Paradis.
– Tiens bon, Michael, m'encourage Raoul, en me débarrassant d'un ange déchu noiraud agglutiné à mon dos.