– Il a accumulé trop de haine, l'amour ne peut plus le sauver, soupire Raoul.
Je ne baisse pas les bras.
Soudain, parmi les ennemis encore acharnés à notre perte, je distingue la mère de Félix-Igor. Elle vient de mourir d'une cirrhose du foie. La rage qu'elle éprouve contre le père d'Igor l'a maintenue entre deux mondes, âme errante. C'est l'occasion unique. Je la lui désigne. Furibond, il fonce vers elle pour un corps à corps sans merci. Leur haine mutuelle est féroce et, pourtant, aucun ne parvient à détruire l'autre. Nous profitons de la diversion pour expédier au Paradis les dernières âmes errantes, tant et si bien qu'à la fin de cette bataille d'Armageddon ne restent plus qu'Igor et sa mère, déchaînés, mais épuisés.
– Cela fait treize vies que ces deux-là se combattent, m'informe Edmond Wells.
Comme aucun d'eux ne parvient à prendre le dessus sur l'autre, à bout de forces, ils commencent à se parler. Ils s'accablent d'abord de reproches. Treize vies d'ingratitude et de traîtrise, treize existences de coups bas et de soif de se nuire. De part et d'autre, la dette est lourde mais au moins, là, ils se parlent. Ils se regardent en face, d'égal à égal, et non plus d'enfant à adulte.
Après la colère viennent la lassitude, puis les explications et, enfin, les excuses.
– Maman!
– Igor!
Ils s'étreignent. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer.
– Maintenant, à toi de faire, Michael, dit mon ins tructeur. C'est d'une de tes âmes qu'il s'agit.
J'aspire le fils et la mère à travers ma colonne vertébrale transparente et ils ressortent lumineux par le sommet de mon crâne pour, ensemble, gagner le Paradis.
– Voilà le premier de tes clients prêt à être jugé, me signale Edmond Wells.
– Je dois monter tout de suite assister Igor?
– Non, tu as du temps. Il lui faut d'abord traverser les Sept Ciels et patienter dans la zone du Purgatoire. Des tâches plus urgentes t'attendent. Dépêche-toi, Michael, il y a du nouveau avec tes deux clients encore incarnés sur Terre.
185. ENCYCLOPÉDIE
LA CONJURATION DES IMBÉCILES: En 1969, John Kennedy Toole écrit un roman,
Swift ne croyait pas si bien dire.
Après avoir vainement cherché un éditeur, à trente-deux ans, écœuré et las, Toole choisit de se suicider. Sa mère découvre le corps de son fils, son manuscrit à ses pieds. Elle le lit, et estime injuste que son fils ne soit pas reconnu.
Elle se rend chez un éditeur et assiège son bureau. Elle en bloque l'entrée de son corps obèse, mangeant sandwich sur sandwich et obligeant l'éditeur à l'enjamber péniblement chaque fois qu'il gagne ou quitte son lieu de travail. Il est convaincu que ce manège ne durera pas longtemps mais Mme Toole tient bon. Face à tant d'opiniâtreté, l'éditeur cède et consent à lire le manuscrit tout en avertissant que, s'il le juge mauvais, il ne le publiera pas.
Il lit. Trouve le texte excellent. Le publie. Et
L'histoire ne s'arrête pas là. Un an plus tard, l'éditeur publie un nouveau roman signé John Kennedy Toole,